Il s'agit là d'une étude réalisée par Aldo Natale Terrin, qui est Professeur Emérite de la Faculté Pontificale de Théologie de Padoue, et prêtre de l'Eglise Catholique. Elle a été publiée en 2017 dans l'ouvrage Acta Comparanda, Subsidia IV, par la Faculté de Religion Comparée d'Anvers (ouvrage ici sur le site du CNRS).
J'ai pensé que cela pourrait intéresser ceux d'entre vous qui apprécient la religion comparée. Bonne lecture !
Résumé
Dans cet essai je veux présenter la relation qui existe entre la scientologie et la religion gnostique. J’ai donc pris comme point de départ une certaine typologie de la Gnose, et j’ai tenté de l’appliquer à l’Eglise de scientologie. J’ai ainsi comparé le démiurge des gnostiques avec le concept du thétan repris en scientologie. Dans le même temps, j’ai analysé le concept d’imagination et celui du secret présents dans les deux religions. En me référant ensuite aux religions orientales considérées comme gnostiques, j’ai pu confirmer l’existence d’une certaine affinité entre la scientologie et ces deux religions du monde. J’ai souligné enfin la convergence qui existe entre les concepts de pleine conscience et de sagesse (bodhi) que l’on trouve dans le Bouddhisme, et celui de conscience qui existe en scientologie.
Mots clefs:
Gnosticisme – Scientologie – Thétan – Parcours spirituel – Religions orientales –Méditation - Esotérisme
Le projet:
Le spécialiste américain de la Gnose, Michael Williams, lorsqu’il a parlé du gnosticisme a fait cette remarque radicale selon laquelle les termes gnose, gnosticisme et gnostique sont si vagues qu’ils ont perdu tout sens particulier, et qu’il est donc préférable de ne plus les employer du tout [1].
Bien entendu, il serait tentant pour moi d’abandonner cette catégorie. Je suis bien conscient que parler de la religion gnostique est plus compliqué que de parler de la religion de scientologie, et j’ai l’impression de me lancer dans ce projet « obscurum per obscurius » [un mystère enrobé dans une énigme –ndt]. D’un autre côté, c’est là notre meilleure chance d’étudier la scientologie, en rapport avec l’histoire des religions : je crois que cette catégorie, la religion gnostique, issue de l’histoire des religions, nous offre la meilleure opportunité qui soit de mieux comprendre cette nouvelle Eglise. Ainsi, en dépit des difficultés inhérentes à ce genre de situation, et en créant d’abord une typologie pour échapper au problème, il sera facile d’établir selon moi, par ce projet, que la scientologie est assez proche de cette religion qu’on qualifie d’« ancienne religion gnostique », considérée typologiquement comme un tout [2]. En procédant de cette manière, on observe d’ailleurs curieusement combien sont fortes certaines affinités, comme l‘avait déjà remarqué par exemple M.F. Bednarowski [3].
Mais ce n’est pas tout ce qu’on peut faire lorsque l’on compare la religion gnostique et la scientologie : c’est au cœur de leurs messages que les deux religions révèlent leurs principales convergences : elles convergent en premier lieu au niveau du concept du thétan (l’esprit) qui existe dans l’Eglise de scientologie ; elles convergent en second lieu sur le concept du demi-Dieu ou démiurge et des Archontes de la religion gnostique.
C’est là en effet que nous trouvons les plus grandes similarités, non seulement entre le thétan et le démiurge, et leurs aventures respectives dans la matière (le MEST, en scientologie), mais aussi par l’analogie qui se poursuit à travers l’itinéraire, le parcours spirituel et les nombreuses étapes de l’ascension du thétan ou esprit avec son équivalent, l’ascension du démiurge ou de l’âme, dans sa lutte contre la matière, qui correspond à la doctrine ésotérique des divers niveaux, dits niveaux OT en scientologie. Mais je dois insister sur le fait que les religions orientales ont bien plus de choses en commun avec la scientologie. Ainsi, certains des termes utilisés sont très similaires. Nous avons, par exemple, le mot moksa proche du concept de liberté en scientologie ; ou le concept de bodhi qui se rapproche de celui de Clair ; ou encore, par exemple, le concept de la réincarnation, proche de celui des vies passées que l’on trouve en scientologie, etc.
J'ai pensé que cela pourrait intéresser ceux d'entre vous qui apprécient la religion comparée. Bonne lecture !
Les mondes séculiers et religieux ne s’opposent aucunement. Ils doivent au contraire œuvrer ensemble. Je pense que la scientologie, par ses principes novateurs sur le monde physique et spirituel montre la direction que devraient peut-être prendre, ensemble, les religions et l’humanité.
Aldo Natale Terrin
La scientologie :
Des affinités avec la religion gnostique
et les religions orientales
Des affinités avec la religion gnostique
et les religions orientales
Aldo Natale Terrin
Résumé
Dans cet essai je veux présenter la relation qui existe entre la scientologie et la religion gnostique. J’ai donc pris comme point de départ une certaine typologie de la Gnose, et j’ai tenté de l’appliquer à l’Eglise de scientologie. J’ai ainsi comparé le démiurge des gnostiques avec le concept du thétan repris en scientologie. Dans le même temps, j’ai analysé le concept d’imagination et celui du secret présents dans les deux religions. En me référant ensuite aux religions orientales considérées comme gnostiques, j’ai pu confirmer l’existence d’une certaine affinité entre la scientologie et ces deux religions du monde. J’ai souligné enfin la convergence qui existe entre les concepts de pleine conscience et de sagesse (bodhi) que l’on trouve dans le Bouddhisme, et celui de conscience qui existe en scientologie.
Mots clefs:
Gnosticisme – Scientologie – Thétan – Parcours spirituel – Religions orientales –Méditation - Esotérisme
Le projet:
Le spécialiste américain de la Gnose, Michael Williams, lorsqu’il a parlé du gnosticisme a fait cette remarque radicale selon laquelle les termes gnose, gnosticisme et gnostique sont si vagues qu’ils ont perdu tout sens particulier, et qu’il est donc préférable de ne plus les employer du tout [1].
Bien entendu, il serait tentant pour moi d’abandonner cette catégorie. Je suis bien conscient que parler de la religion gnostique est plus compliqué que de parler de la religion de scientologie, et j’ai l’impression de me lancer dans ce projet « obscurum per obscurius » [un mystère enrobé dans une énigme –ndt]. D’un autre côté, c’est là notre meilleure chance d’étudier la scientologie, en rapport avec l’histoire des religions : je crois que cette catégorie, la religion gnostique, issue de l’histoire des religions, nous offre la meilleure opportunité qui soit de mieux comprendre cette nouvelle Eglise. Ainsi, en dépit des difficultés inhérentes à ce genre de situation, et en créant d’abord une typologie pour échapper au problème, il sera facile d’établir selon moi, par ce projet, que la scientologie est assez proche de cette religion qu’on qualifie d’« ancienne religion gnostique », considérée typologiquement comme un tout [2]. En procédant de cette manière, on observe d’ailleurs curieusement combien sont fortes certaines affinités, comme l‘avait déjà remarqué par exemple M.F. Bednarowski [3].
Mais ce n’est pas tout ce qu’on peut faire lorsque l’on compare la religion gnostique et la scientologie : c’est au cœur de leurs messages que les deux religions révèlent leurs principales convergences : elles convergent en premier lieu au niveau du concept du thétan (l’esprit) qui existe dans l’Eglise de scientologie ; elles convergent en second lieu sur le concept du demi-Dieu ou démiurge et des Archontes de la religion gnostique.
C’est là en effet que nous trouvons les plus grandes similarités, non seulement entre le thétan et le démiurge, et leurs aventures respectives dans la matière (le MEST, en scientologie), mais aussi par l’analogie qui se poursuit à travers l’itinéraire, le parcours spirituel et les nombreuses étapes de l’ascension du thétan ou esprit avec son équivalent, l’ascension du démiurge ou de l’âme, dans sa lutte contre la matière, qui correspond à la doctrine ésotérique des divers niveaux, dits niveaux OT en scientologie. Mais je dois insister sur le fait que les religions orientales ont bien plus de choses en commun avec la scientologie. Ainsi, certains des termes utilisés sont très similaires. Nous avons, par exemple, le mot moksa proche du concept de liberté en scientologie ; ou le concept de bodhi qui se rapproche de celui de Clair ; ou encore, par exemple, le concept de la réincarnation, proche de celui des vies passées que l’on trouve en scientologie, etc.
Nous avons par ailleurs un autre sujet de grande pertinence. Il s’agit du thème de la pleine conscience, qui dérive à la fois du concept gnostique de connaissance et de l’idée d’attention et de méditation que l’on retrouve dans la méditation bouddhiste. On s’aperçoit ici que les deux religions traditionnelles, la religion gnostique et le bouddhisme sont très semblables, tout en étant également proches d’un autre aspect de l’Eglise de scientologie, à savoir le concept de conscience, vue comme la transparence ou clarté de l’esprit. En fait, la principale caractéristique du thétan, et en particulier de « Thêta-Clair », c’est la transparence à lui-même.
Il est clair toutefois que le but final des deux religions n’est pas identique en ce qui concerne la conscience. On s’aperçoit en réalité que le nirvana du bouddhiste vise à la disparition du mental et de la pleine conscience, alors que cette suppression du mental apparaît plutôt comme quelque chose de négatif pour la scientologie. Ron Hubbard a dit précisément : « Il n’y a manifestement pas de nirvana en scientologie » [4]. Cette vision différente est due au fait que le thétan reste toujours un individu.
I. La Gnose et sa typologie
I.1. Les caractéristiques de la Gnose
Rappelons-nous ce qu’a dit un jour H. Jonas : « Pour comprendre le gnosticisme, il nous faut quelque chose qui ressemble très fort à une oreille musicale ». C’est vrai. Comme je viens de le dire, il est difficile de comprendre ce qu’est le gnosticisme. Je me souviens qu’en 1966, une réunion d’experts s’était réunie à Messine en Italie, sous la houlette du professeur U. Bianchi, pour tenter de trouver une définition pratique du gnosticisme. Ce qui en résulta toutefois ne fut pas très encourageant. Les érudits proposèrent alors de limiter l’usage du mot gnosticisme aux mouvements hérétiques du deuxième siècle, alors que le terme plus générique de gnose se référait à la connaissance des mystères divins réservée à l’élite [5].
Ainsi donc le problème demeure. Comment définir le gnosticisme à partir de cette grande variété d’éléments proposés tout au long de l’histoire ? Comme je l’ai dit, j’en suis venu à proposer une typologie. Ainsi, j’essaie de définir le phénomène en dressant la liste de quelques traits caractéristiques communs à toutes les manifestations considérées comme gnostiques. Parmi les spécialistes qui ont adopté cette approche typologique dans le passé, nous avons le grand théologien W. Bousset, dans son Religionsgeschichtliche Schule [6] [Histoire des religions –ndt] et le théologien A. Harnack. [7] Parmi les spécialistes plus récents, on peut citer par exemple H. Jonas [8] , ou d’autres encore, comme C. Emery [9] et C. Markschies [10].
J’ai donc la possibilité, en tant qu’universitaire spécialisé dans l’étude comparative des religions, d’analyser les rapports qui existent entre la religion gnostique et la scientologie, toujours dans le cadre de cette typologie que je viens d’évoquer. J’ai bien conscience malgré tout qu’il restera une part d’ombre. Car en effet, toute approche typologique visant à définir le gnosticisme ne peut extraire et isoler des points de doctrine qu’à partir de mythologies complexes et variées.
En dépit de tout cela, je proposerai une typologie simple, la mienne, juste pour la comparer à la scientologie, tout en résumant quelques traits essentiels de la gnose.
Historiquement nous le savons, le concept de gnose remonte aux croyances et sectes qui fleurissaient aux premiers siècles de l’ère chrétienne, combinant des éléments du Christianisme, du Platonisme et d’autres religions orientales. Au départ, le concept se référait uniquement au principe du mental (noûs) et de la raison (logos), sans plus. Et c’est au cours des siècles de l’ère chrétienne que le concept a été élargi. La gnose est devenue la « connaissance du monde divin et de la vraie nature intérieure des choses ».
Pour ma propre typologie, j’ai sélectionné quelques caractéristiques tirées de la gnose. On peut en dresser la liste suivante :
- Il y a l’idée d’un Dieu lointain et transcendant.
- Introduction d’un mythe cosmologique, présent dans presque tous les récits et qui postule une chute ou une séparation d’avec le monde divin, dont la conséquence fut le démiurge, c’est-à-dire un second Dieu, qui engendra le monde.
- Le monde physique est le résultat de l’ignorance.
- Le monde physique est considéré comme une prison et une illusion (l’espace et le temps sont en effet des illusions) créées par un demi-dieu (le démiurge) et gardées par des démons malveillants (les Archontes).
- L’humanité se trouve dans un profond sommeil causé par l’ignorance. Elle a perdu quelque chose d’essentiel en abandonnant le pouvoir spirituel attaché à la conscience de soi, même si une particule divine demeure malgré tout vivante en l’homme.
- Tant qu’il n’est pas éveillé, l’homme demeure un étranger (Jonas) dans ce monde, et il souffre de rêves agités.
- La seule chance d’éveil passe par la connaissance.
- Le principal objectif dans cette situation de servitude, c’est l’acquisition de la connaissance afin de libérer l’homme intérieur des liens de l’ignorance, lui permettant ainsi de retrouver sa nature et son royaume divins.
I. 2. Le concept de gnose en tant que Connaissance
Sur un plan épistémologique, le savoir gnostique ne surgit pas d’une réalité qui serait distante. Il ne peut pas davantage être acquis méthodiquement par l’examen attentif du monde extérieur. Et par ailleurs, il ne saurait être révélé par un Dieu transcendant, comme dans le christianisme. Non, il provient d’une source interne, il résulte d’une expérience personnelle qui repose sur l’imagination ou l’intuition spirituelle. Dans ce sens, la gnose est une connaissance spirituelle. Et la connaissance de soi est aussi la connaissance de Dieu : les deux composantes, le soi et Dieu, sont les deux faces d’une même pièce. La gnose n’est donc pas l’équivalent d’un vague savoir supérieur, absolu ou parfait. Il s’agit plus exactement de la recherche du plus haut niveau spirituel de la réalité.
Et le progrès en direction de cette double connaissance est vu comme un parcours ou cheminement spirituel. On se rappelle que selon Quispel, l’essence de la gnose c’est l’expression mythique du soi [11]. Et on retrouve là le chemin suivi par le gnosticisme, comme dans l’ésotérisme et l’hermétisme. Dans toutes les formes de gnosticisme, l’expérience du soi durant le cheminement spirituel est fondamentale. Or nous verrons que quelque chose de similaire existe en scientologie, avec une manifestation du soi qui peut s’assimiler à la confiance et aux capacités de la personne.
Dans le même ordre d’idée, la connaissance est secrète. La connaissance spirituelle n’est pas accessible à tous, mais seulement à ceux qui la méritent, et sa substance doit être gardée secrète. Ainsi par exemple, dans l’Evangile selon Thomas, Jésus a déclaré : « Je révèle mes secrets à ceux qui sont dignes de ces secrets. » [12] Par ailleurs, un autre fait marquant est que cette connaissance spirituelle, à la différence du savoir de faits et de théories basés sur la raison, concerne un savoir que l’on peut qualifier de « transformationnel » : puisqu’elle « concerne les secrets du salut, la connaissance n’est plus théorique, elle ne regroupe pas un ensemble de concepts et d’information sur des choses, elle sert plutôt à transformer la condition humaine ». [13]
Nous verrons que les mêmes objectifs sont présents au sein de la scientologie. La scientologie représente un savoir qui transforme le monde, voire qui le transcende.
I. 3. L’imagination dans la religion gnostique
Nous avons déjà identifié quelques traits de la religion gnostique. Rappelons-nous que la gnose n’est pas seulement une gnose passée, elle est également la gnose nouvelle et moderne, dotée de traits similaires. C’est pour cette raison que nous devons aborder la question de l’imagination dans la gnose, « un outil essentiel pour atteindre cette gnose, car l’imagination est créatrice, elle change le soi, comme le monde autour de soi ». [14]
L’imagination joue donc un rôle précis dans la gnose moderne. Elle est le produit typique d’un développement survenu au cours du dix-neuvième siècle et qui a accompagné le concept de religion et de science. Selon moi, l’imagination a trouvé sa place entre religion et science. La théosophie et l’occultisme confirment la direction prise par la nouvelle gnose. L’ésotérisme occidental a développé de nombreux exercices d’imagination centrés autour de Dieu, de l’homme et de la nature, comme l’a fait par exemple le mystique J. Boehme (Voir à cet égard les travaux de Wouter Hanegraff) [15]. Il en a été de même pour la vague de penseurs romantiques qui tirèrent leur inspiration de la gnose présente dans d’autres religions, comme dans la kabbale juive, le culte égyptien d’Isis, ou encore l’hindouisme ou le bouddhisme.
On peut d‘ailleurs inclure ici des chercheurs, des militants ou des artistes comme Richard Payne Knight, Sir William Jones, l’expert en religions orientales, le poète William Blake, Robert Owen, sans oublier Madame Blavatsky.
L’imagination et, en particulier, le reflet du divin dans la nature ou l’imagination divine ont joué un grand rôle dans la gnose moderne. On peut même dire que c’est grâce au pouvoir de l’imagination que le gnosticisme moderne a pu créer de nouveaux thèmes, de nouvelles perspectives et susciter un vrai progrès sur les questions de religion, de science et d’art. C’est particulièrement vrai à notre époque moderne.
On peut se poser la question : pourquoi vouloir élargir la discussion et passer de la gnose classique à la gnose moderne ? La réponse est simple : ce n’est qu’avec cette vision élargie de la gnose que l’on peut percevoir la proximité de la scientologie avec ces différentes questions de religion, de science et d’art. Pour autant, cette idée concernant l’imagination du thétan est très proche du concept du même nom que l’on trouve dans la gnose, et la question des OT (Operating Thetans, en anglais) est semblable à cette autre tradition dite de l’ascension de l’âme, avec les secrets qui l’accompagnent.
II. 1. Comparaison : Le savoir et l’imagination en scientologie
Nous connaissons cette déclaration de L. Ron Hubbard : « La scientologie est la science qui consiste à savoir comment savoir les réponses. » [16] D’un point de vue épistémologique c’est correct, du fait de la disposition intellectuelle du scientologue, qui doit manifester de la curiosité envers la connaissance secrète, même si jamais il ne prétend recevoir de révélation. En fait, en scientologie, la connaissance est la clef de tout, le premier principe du progrès spirituel. C’est la voie dans la bonne direction pour atteindre la liberté de l’esprit. Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? Je répondrais que le « savoir comment savoir » rejoint ces autres questions que l’on se pose dans la religion gnostique : « comment se libérer de la matière ? », « comment inventer la nouvelle réalité et la nouvelle liberté ? », ou encore « comment sortir de l’illusion cosmique ? », en des termes peu différents des questions existentielles propres au gnosticisme.
Et à cet égard selon moi, la connaissance accompagnée de l’imagination est ce qui symbolise le mieux la nouvelle épistémologie. Ce n’est pas tant le contenu seul de la connaissance qui est en jeu ici, mais d’abord et surtout la capacité d’imaginer ce que représente cette liberté totale, quand on parle du « Pont vers la liberté totale ». C’est le thème central de cette nouvelle vision proposée par L. Ron Hubbard, que ce soit pour l’état dit OT (Operating Thetan) ou pour la route conduisant à OT.
Pour l’élaboration de cette route, où la connaissance joue à jeu égal avec l’imagination dans la pensée de Hubbard, on trouve la religion, la technologie ou la science, et puis l’art. Et il n’y a aucune raison de se montrer trop curieux quant à savoir ce que pourraient être ces secrets scientologiques liés aux étapes ésotériques menant à OT, car il n’y a qu’une seule et vraie question. Il s’agit d’un principe méthodologique, c’est la possibilité d’imaginer la liberté en dehors de la matière. C’est la connaissance authentique. C’est la gnose.
Par ailleurs, comme c’est le cas pour le gnosticisme, l’expérience du thétan opère comme une transformation qui partirait de l’état d’homme déchu pour regagner ensuite pas à pas le salut, le tout reposant sur une idée bien subversive et un premier axiome selon lequel : « la réalité est une construction mentale ». C’est ainsi que l’on pourrait décrire les premiers axiomes un peu comme l’état primitif ou originel du thétan. Ces axiomes expriment la lutte continuelle entre l’esprit et la matière. Et le premier axiome de préciser : « la vie est fondamentalement un statique » (c’est-à-dire sans le MEST – un acronyme anglais pour Matière, Energie, eSpace et Temps). Cet élément souligne la séparation originelle qui existait entre le thétan et la matière. En fait, et comme a pu l’écrire l’Eglise de Scientologie Internationale : « Le thétan c’est la personne elle-même, pas son corps, ni son nom, ni l’univers physique, son mental ou quoi que ce soit d’autre. C’est ce qui est conscient d’être conscient, c’est l’identité qui est la personne. » [17]
Le deuxième axiome déclare : « Le Statique est capable de considérations, de postulats et d’opinions. » Cela signifie que le thétan possède l’aptitude à transformer la réalité, simplement grâce à la puissance de sa pensée. Quant au troisième axiome, il nous apprend que : « L’espace, l’énergie, les objets, la forme et le temps sont le résultat de considérations du Statique et/ou de considérations auxquelles il a donné son accord. » [18] Cela signifie que la réalité elle-même est déjà une création du thétan, une « pensée » de ce dernier, ou un accord entre des thétans.
On peut aussi voir un aspect négatif de la matière, dans son rapport au thétan. Nous avons ainsi un important axiome, le numéro 50 qui précise : « Théta, en tant que MEST, doit contenir des considérations qui sont des mensonges. » [19] Cela signifie que dès que le thétan entre en contact avec le MEST, une situation négative apparaît, c’est l’illusion de la réalité, un parfait mensonge. Cette proposition insiste une fois de plus sur l’opposition manifeste qui existe entre le MEST et le thétan. Le résultat final, lorsque la matière s’allie ou se mélange au thétan, c’est que cette matière devient simplement « mensonge ».
Il s’agit là d’une nouvelle épistémologie, d’une vision nouvelle. Mais cette vision est très en phase avec le concept classique de la gnose. Et nous pourrons donc établir un catalogue des aptitudes du thétan, comme on l’avait envisagé.
II. 2. Deuxième comparaison : Des caractéristiques similaires en scientologie
« La matière est mauvaise, et notre être matériel se détourne de Dieu, comme s’il s’agissait d’un péché. »
(Irénée de Lyon, Contre les hérésies)
Si on compare les caractéristiques du thétan dans ses rapports à la matière, en prenant comme base de travail l’épistémologie des axiomes que l’on vient de citer, et en suivant la cosmologie élaborée par L. Ron Hubbard, on peut alors établir les éléments parallèles suivants :
- Dieu en scientologie, correspond à la huitième dynamique, et ce concept n’est pas encore bien compris : il correspond à la partie la plus excentrée, la plus éloignée des cercles de l’existence et de la survie [20]. C’est le même principe qui prévaut dans la doctrine gnostique, où Dieu demeure agnostos theos, c’est-à-dire un Dieu inconnaissable. On peut cependant ajouter que dans ces deux religions, un plus haut niveau de conscience signifie une meilleure perception de Dieu.
- Les thétans engendrent l’univers matériel par la chute dans la matière [21]. C’est le premier détachement de la matière. Ça correspond à la séparation, la chute dans la matière décrite par la doctrine gnostique.
- On pense que l’univers n’a pas de réalité indépendante. Il dériverait cette réalité apparente (fruit de l’ignorance) du fait que la plupart des thétans s’accordent sur son existence. Ce n’est donc que par un acte de la pensée que le monde peut exister.
- On croit que les thétans se sont éloignés de la grande Unité dès le moment où ils ont commencé à s’identifier à leur création plutôt que de s’identifier à leur état originel de pureté spirituelle. Et leur nouvel état est alors devenu une prison.
- Les thétans ont perdu la mémoire de leur vraie nature en même temps qu’ils perdaient leur pouvoir de création spirituelle. En ce sens, ils sont devenus des étrangers dans ce monde, comme les âmes dans la doctrine gnostique. L’esprit (le noûs divin ou partie divine de l’âme) ne peut s’allier à la matière. Il y a incompatibilité.
- Et les thétans en sont donc venus à ne se comparer à rien d’autre que des êtres incarnés.
- Pourtant, grâce à la connaissance le thétan est en mesure de lutter contre la matière et ainsi regagner son état spirituel originel, la liberté totale. Ce n’est que par la connaissance qu’il pourra mettre fin aux cycles des vies passées et que le pur esprit pourra retourner vers la source.
Commentaire : recouvrer l’autonomie par la connaissance
Tenter d’illustrer la typologie gnostique, comme je viens de le faire, n’est pas une tâche aisée. Les systèmes gnostiques sont en effet tous différents et le rôle du démiurge, comme celui des Eons, diffèrent constamment selon les versions [22].
On peut au moins cerner quelques points communs à tous les mythes quand on aborde le pouvoir de la connaissance. Même si la connaissance a souvent été révélée à des hommes piégés dans la matière par des personnages intermédiaires, la pensée gnostique repose sur la possibilité de se connaître complètement avec pour conséquence son propre salut. Atteindre son propre salut, c’est pouvoir résister aux forces du mal. Les idées gnostiques sur la création du cosmos et de l’homme, avec la rédemption de l’être humain et de son âme grâce à l’ascension des plans astraux, sont par ailleurs très proches du principe philosophique de l’heimarméné [forces qui gouvernent l’univers – ndt].
Ce principe contient un aspect négatif puisqu’il repose sur l’existence d’une tension entre la liberté humaine et les puissances cosmiques, et c’est cette tension qui détermine le destin terrestre. Mais il revêt en même temps une importance capitale dans le gnosticisme qui a adopté cette idée astrologique de l’heimarméné, où des Archontes représentant les forces divines ont été relégués à l’état de démons, incapables de résister au désir de l’homme pour la connaissance. L’âme de l’homme donc est menacée par des pouvoirs célestes et des sphères planétaires démoniaques. Et dans cette lutte, l’homme ou l’esprit postule que la gnose, c’est-à-dire la connaissance, est l’arme qui pourra le libérer des chaînes de l’heimarméné. A ce titre la gnose, ou connaissance, a pu être justement appelée religion de l’auto-libération ou de l’autonomie recouvrée de la personne grâce à la connaissance.
Ce concept de l’autonomie recouvrée par la connaissance, concept vu comme une vérité absolue, sans référence aucune aux divers discours sur la gnose, on le retrouve un peu partout. Et on peut parfaitement l’appliquer à la scientologie. Les thétans, pour la scientologie, subissent les aléas de la vie en raison de leur ignorance. Les conséquences en sont le piège dans la matière et l’obscurcissement de l’esprit. A la fin du voyage toutefois, le salut devient possible, qui passe par la connaissance et la victoire sur la matière. On peut alors se demander : mais d’où vient le salut ? Et la réponse est : il vient par les exercices et l’audition, à partir de la force spirituelle toujours présente dans la matière et qui permet au thétan de savoir comment se libérer de ce monde [23].
Et Hubbard l’a affirmé, les thétans, grâce aux postulats identifiés à de la connaissance, peuvent devenir les maîtres de la matière. Ils sont donc capables de changer la réalité au travers de ces postulats, de ces décisions et pensées. Ils peuvent ainsi manipuler la réalité mais également se libérer. Et on voit donc que les thétans traversent les mêmes aventures que celles vécues par le démiurge.
III. Des liens avec les religions orientales
III.1. Quelques comparaisons récentes avec les religions orientales (R. Wallis, F. Flinn, S. Kent)
Nous avons pu relever tout d’abord qu’au cours de cette encore brève histoire de la scientologie, un nombre significatif de travaux ont été publiés qui comparent scientologie et religions orientales. Quelques-uns de ces travaux énoncent que la scientologie a suivi, au moins en partie, la trace des grandes traditions de l’Inde. La plupart des textes affirment que la scientologie aurait imité certaines religions orientales, à savoir l’hindouisme et le bouddhisme. Je me propose donc de rédiger ici un bref compte-rendu de ces courants d’idées.
Roy Wallis fut l’un des premiers auteurs à étudier la scientologie, dans les années 70. Il étudia l’Eglise de scientologie avec le point de vue d’un sociologue, et après avoir lu l’essai intitulé « Le Yoga, immortalité et liberté » (1954) de M. Eliade, il fut convaincu que la scientologie avait repris quelques principes provenant directement du yoga hindou. Wallis écrivit alors : « Dans le yoga, on trouve un certain nombre de parallèles évidents avec la scientologie. » [24] Pour Wallis les deux principales convergences identifiées par rapport à la scientologie étaient les suivantes : le système du yoga amènerait en premier lieu à un nouvel état de conscience, une renaissance conduisant à un « état d’être non conditionné » ; ensuite, le but du Samkhya-yoga serait de provoquer une séparation du Purusha (esprit immortel) d’avec le prakrti (la matière). L’objectif de la scientologie serait identique, en cherchant à dissocier le thétan, équivalent au Purusha (immortel, libre, divin) dans le but de le libérer du MEST (la matière, le prakrti). On peut accepter ces pistes de réflexion, même si la convergence n’est pas aussi parfaite qu’on pourrait le croire, le Purusha ne se mélangeant jamais vraiment avec la matière.
Si on doit comparer les deux systèmes, j’ajouterai ceci : nous savons que le principe au cœur du yoga est que, par l’application de pratiques, on est capable de contrôler ce qu’on appelle le « citta-vrtti » (perturbations, tourments du mental). Il en va de même en Dianétique et en scientologie, où le contrôle du mental réactif, et la possibilité de surmonter les engrammes présentent une signification équivalente. Avec l’engramme en fait, le mental se trouve soumis à une réalité affective et négative. C’est exactement l’équivalent du citta-vrtti. Et il s’agit là, selon moi, d’une équivalence qui n’avait jamais encore été relevée.
Dans les années 70, un autre auteur a comparé la scientologie aux religions orientales, en particulier au bouddhisme. Je veux parler de Frank Flinn. A cette période déjà, il avait qualifié la scientologie de « bouddhisme technologique » [25]. C’était pour moi l’expression d’une grande intuition. Dans son essai, Flinn compare le Clair de la scientologie à l’homme illuminé, l’homme éveillé, semblable au Bouddha. Le concept de Clair serait équivalent à celui de l’Illuminé, qui comporte cette idée de liberté et de conscience ou d’éveil [26]. Je suis d’accord en grande partie avec Flinn, et les principales comparaisons qu’il effectue entre la scientologie et le bouddhisme en particulier, notamment les quatre caractéristiques suivantes, me paraissent également établies : (1) Savoir pour soi-même, ou l’expérience personnelle vue comme un critère de vérité ; (2) La compréhension scientifique du principe de cause et d’effet, au sujet de l’esprit (karma) ; (3) Une approche pragmatique du bouddhisme sans aucune autre vision métaphysique ; et enfin (4) l’accent mis sur l’action individuelle [27].
Indéniablement, ces grands principes sont semblables à ceux que l’on peut trouver en scientologie. Flinn observe ensuite que le passage de la Dianétique vers la scientologie s’est effectué grâce au concept du thétan, concept qui se substitue, sous certains égards, à celui de Clair. Cette transition est en effet très intéressante. Selon Flinn, elle se serait faite suite à la découverte de nouveaux éléments concernant la manière dont le thétan : a) a la possibilité de conquérir le MEST, b) peut être comparé à l’esprit chrétien ou l’âme, c) possède à présent de nouvelles dynamiques, dont celles du monde animal, de l’univers, de l’esprit, et de l’infini ou Dieu, sans oublier (d) l’Electromètre, qualifié par Flinn de « sacrement technologique » [28].
Selon moi, tout cela a été fort élégamment décrit et correspond bien à la réalité. Le thétan toutefois, que l’on nomme par ailleurs le statique, affiche une plus grande perfection (potentiellement au moins) que le Clair. Et si c’est bien le cas, on peut se demander pourquoi Flinn n’a pas fait usage de ce nouveau concept de thétan, ou de théta-Clair, soit un statique ou un esprit libéré du MEST, ce qui aurait permis de mieux comprendre cet homme « illuminé » devenu un nouveau Bouddha. En fait, au début des temps le thétan était totalement détaché de la matière, et il doit à présent se libérer du MEST. Donc pour moi, sans aucun doute, les termes de thétan et de théta-Clair conviendraient mieux à cette réalité que le mot de Clair.
Je ne parlerai pas de la comparaison faite entre la scientologie et les religions orientales par Jon Atack, auteur de l’ouvrage à sens unique intitulé A Piece of Blue Sky [29]. Il a été scientologue dans le passé, puis est devenu ennemi déclaré de l’Eglise. Il a voulu comparer le scientologue au moine bouddhiste. Mais en quels termes ? D’une manière négative exclusivement. Son ouvrage aurait pu avoir de l’intérêt mais il a été complètement déformé par ses propres préjugés. En vérité, l’auteur qui a écrit le plus abondamment sur la scientologie, tout en possédant une solide connaissance des religions orientales, est le chercheur canadien Stephen Kent de l’université d’Alberta [30].
L’auteur examine les références aux religions orientales présentes dans les écrits de L. Ron Hubbard. Et dans ce cas-là aussi, je dois reconnaître tout de même que l’auteur n’est pas totalement libre de préjugés à l’encontre de la scientologie. Et je trouve trop négative l’analyse qu‘il en fait. Par rapport aux religions orientales, la principale affirmation de cet expert est que la comparaison faite entre les religions orientales et la scientologie est par trop « superficielle ». Certains mots dérivés de l’hindouisme et du bouddhisme et employés ou interprétés par Hubbard seraient incorrects. Je dois admettre que Kent a raison. Mais j’ai en même temps quelques remarques à faire à propos de Kent lui-même. Ces observations sont correctes et Hubbard s’est trompé à propos desdits termes. Ainsi, il a écrit : « Dharma est presque interchangeable avec le mot dhyana » [31] , alors qu’en fait, dhyana et dharma n’ont pas du tout le même sens dans l’hindouisme. Et en même temps je dois faire remarquer, en défaveur de Kent, qu‘une telle critique est insignifiante et marginale, s’agissant d’un leader religieux qui est d’abord et avant tout un esprit créatif. Voilà un homme qui a fondé un syncrétisme religieux pour servir ses propres besoins religieux.
C’est pourquoi je tiens à préciser ici que Kent ne me semble pas très fiable en matière d’études religieuses. On ne peut demander à un leader religieux d’opérer des traductions littérales d’une religion à une autre. Le génie religieux est doté de ce pouvoir capable de transformer les choses, et il est toujours syncrétique. Je remarque d’ailleurs que toutes les religions du monde sont apparues sous une forme syncrétique, c’est-à-dire souvent dotées d’éléments fort disparates.
III.2. Quelques références directes aux religions orientales
Je voudrais montrer ici que la scientologie présente également de nombreuses affinités avec les religions orientales, en particulier l’hindouisme et le bouddhisme, qui sont en substance des pratiques gnostiques. Nous devons nous rappeler tout d’abord que L. Ron Hubbard lui-même a toujours admis que la scientologie avait des affinités avec certains aspects de l’hindouisme, et en particulier avec le bouddhisme. Il a ainsi posé la question :
« Sommes-nous redevables envers l’Asie ?... Nous avons tous les mêmes potentialités, mais il se fait que l’information qui a été collectée au cours des années est disponible en Asie. Cette information n’a pas été préservée dans le monde occidental. Et on doit alors se tourner vers ces choses, comme le Veda. » [32]
A cet égard, je pense donc que ces liens avec l’Asie ont été perçus par Hubbard comme étant très étroits, ainsi d’ailleurs que l’a confirmé Kent [33]. Comme je l’ai déjà dit, le concept de bodhi (sagesse) par exemple, est semblable à celui de « savoir », en scientologie. Hubbard précise d’ailleurs dans ses Conférences de Phoenix:
« Ce dont nous venons de parler en termes de connaître le chemin vers la connaissance, est très proche de Bouddha, le seigneur Bouddha, Gautama Bouddha, ou encore le Bienheureux, ou celui qui est Eveillé. »
Ces mots de Hubbard nous montrent que le chemin vers la connaissance en scientologie est similaire à celui exprimé au travers du concept de Bouddha, celui qui possède le bodhi, la sagesse. Bouddha, comme bodhi, indiquent une même réalité, c’est-à-dire, connaître le chemin vers la connaissance. La connaissance comme la sagesse font partie d’un tout. On note par ailleurs que le concept hindou moksa n’est pas très éloigné de celui de liberté en scientologie. Libération, salut, autosalut, liberté totale, moksa et nirvana indiquent la même idée centrale dans les discours religieux, même si cette idée varie en l’occurrence dans le message chrétien, avec un salut venant d’une source extérieure, d’un sauveur : Jésus-Christ.
Dans les religions orientales, comme dans la pratique gnostique, le processus central du salut s’opère en passant de l’ignorance à la connaissance spirituelle, sans l’intercession d’un sauveur. La thèse majeure est la suivante : « Nous venons de Dieu, nous participons de son Essence et nous retournerons à lui. » Cette thèse se retrouve dans les Upanishad majeures, comme par exemple dans le Brhadaranyaka Upanishad. Elle constitue également le message central du Chandogya Upanishad. Et comme nous le verrons plus tard, c’est ce même type de message qui est proposé dans la méditation bouddhiste : tout ce dont nous disposons pour nous exercer, c’est notre mental, car le mental, en soi, c’est d’abord et avant tout, le seul refuge (« chacun d’entre nous est son propre refuge »). Rappelons-nous en plus, ce que disait Hubbard : « Le scientologue est un proche cousin du bouddhiste. » [34]
Il nous faut bien reconnaître que la discussion la plus étoffée sur la question des religions orientales traditionnelles telles que le Tao, l’hindouisme et le bouddhisme se trouve dans les Conférences de Phoenix données en 1954 [35]. On y trouve par exemple le thème des vies passées, proche du phénomène de la réincarnation, même si ce thème n’est pas tout à fait identique à l’idée de la réincarnation ni à celle du karma reprise dans l’hindouisme et le bouddhisme [36]. Les similitudes entre les religions orientales et la scientologie sont nombreuses et variées à bien des égards. Et je pense que ces doctrines hindouistes et bouddhistes que l’on retrouve en scientologie ne sauraient être considérées comme des similitudes occasionnelles et ponctuelles, comme un prétexte pour sauvegarder le concept de religion. Non, comme chacun peut le constater, ces doctrines sont présentes ici de manière structurelle. Nous pouvons donc conclure de l’idée de Kent qu’elle est étrange et peu crédible [37].
A propos de cette « dépendance » presque reconnue de l’Eglise de scientologie vis-à-vis des religions orientales, il me revient que Hubbard publia, en 1955-56 son Hymn of Asia en célébration de 2 500 années de pratique bouddhiste. Ce texte est un poème dédié à l’Asie, et souligne, s’il en est, combien Hubbard était enthousiaste pour cette région du monde. Le poème contient une sorte de prophétie percutante dans laquelle Hubbard s’identifierait au Bouddha Maitreya (le « futur Bouddha de la compassion », qui apparaît une fois sous ce nom dans Digha-Nikaya, 26). Que peut- t-on dire de cette comparaison ? Nous savons que cette identification à Bouddha a souvent été critiquée, à savoir, Hubbard apparaissant comme le nouveau Bouddha. Dans Hymn of Asia, il proclame:
« Il aura des cheveux blonds, ou roux ;
« Il achèvera le travail de Gautama Bouddha ; (…)
« Je viens pour vous apporter un enseignement ;
« Je viens pour vous aider » (…) [38].
Il est vrai que cette prophétie pose question. Pourtant je crois que ces suspicions sont un faux problème. Je me demande d’ailleurs pourquoi aucun chercheur n’a jamais rappelé que la tradition orientale faisait souvent usage de ce procédé d’identification. On peut d’ailleurs avancer que chacun de nous est un Bouddha, sans que cela ne soulève de problème. Et se comparer à un bodhisattva n’a rien d’étrange. C’est même plutôt courant dans l’hindouisme, et pas du tout scandaleux !
III.3. La méditation bouddhiste et la pleine conscience en scientologie
« En montant l’échelle, on [le thétan] est de plus en plus un individu capable de créer et de préserver son propre univers »
(L. Ron Hubbard, 8-8008, 48)
Je voudrais pour terminer examiner un autre concept présent à la fois dans la méditation bouddhiste et en scientologie. Je veux parler du concept de la pleine conscience. S’il appartient à la méditation bouddhiste, il représente également un élément très important de la scientologie.
Prenons cette citation de Hubbard tirée des Conférences de Phoenix, où il parle de dhyana, un mot qui signifie méditation ou concentration (dhyana en sanskrit est l’équivalent du chinois chan, ou du japonais Zen). Hubbard précise : « Ce mot indien de dhyana pourrait parfaitement être traduit par le mot scientologie. » Plus loin, il déclare, en reprenant des mots de Bouddha tirés du Dhammapada : « Tout ce que nous sommes est le résultat de ce que nous avons pensé. C’est fondé sur nos pensées, c’est fait de nos pensées. » [39] Des expressions similaires se retrouvent en effet dans le Dhammapada, avec une signification proche. Permettez-moi d’ailleurs de reprendre ici, mot pour mot, le premier passage de ce texte traditionnel appelé le Dhammapada. C’est sans doute la partie la plus vénérée de tout le Canon Pali. Le texte provient de la tradition Hinayana:
« Tout est précédé du mental
Tout est dirigé par le mental
Tout est créé par le mental » (Dhammapada, 1).
Le mental est donc précurseur, il précède toutes les conditions. Pour la méditation bouddhiste, le mental ou conscience est au cœur de l’existence. Le plaisir ou la douleur, le bien comme le mal, le temps et l’espace, la vie et la mort, tous ces éléments ne veulent rien dire s’ils sont séparés de notre conscience. Ainsi, le bouddhisme se concentre complètement sur le mental afin de le contrôler et le surmonter.
Nous savons par ailleurs qu’en sanskrit, bhavana c’est la méditation, c’est le développement mental, la transformation du mental en vue d’atteindre tous les siddhis (pouvoirs), pour finalement obtenir les états altérés de la conscience [40].
Avec ce concept de bhavana, on peut dire que tout est « inventé » par le mental. On savait que constructivisme et idéalisme étaient des principes déjà présents dans l’ancien bouddhisme. Dans le bouddhisme mahayana et surtout dans le tantrisme, on observe qu’une plus grande attention a été accordée au bhavana. Selon la tradition, par le truchement de la conscience, on peut atteindre et faire l’expérience de ce qu’on pourrait appeler la dernière « idéalité » du monde [modèle final d’un monde parfait et idéal – ndt], où la transparence de la pensée exprime la pure intériorité sous la forme d’une force créatrice. Et ça peut aller jusqu’au point où la réalité s’en trouve toute bouleversé, sachant que le résultat est lié à l’intensité de l’expérience. Dans ces circonstances, la différence entre la réalité perçue et la réalité imaginée disparaît. Et on constate que ce phénomène n’est pas différent de ce que l’on trouve en scientologie, en particulier au niveau du thétan. Car ici, comme dans le bouddhisme, un Operating Thetan peut transformer complètement la réalité, étant devenu lui-même le créateur des choses.
Examinons une fois de plus le phénomène de la méditation. Dans le Satipattana sutta [41] (les quatre fondements de la méditation) du Canon Pali, que signifie précisément le mot méditation ? La méditation, en essence, c’est l’effort soutenu pour porter son attention sur soi-même à tout instant, dans chaque situation, c’est demeurer clair et transparent au niveau de son propre mental, à chaque instant de la vie. La méditation renforce donc la concentration, la clarté de l’esprit et le calme intérieur, permettant ainsi de percevoir la vraie nature des choses, le tout menant à un changement, une transformation et une nouvelle compréhension de la vie. Et cette notion de conscience est semblable au concept développé dans l’Eglise de scientologie. Le but de l’Eglise en effet est d’accroitre la conscience spirituelle des personnes pour qu’elles deviennent plus éveillées, dotées d’une grande clarté de l’esprit. La bonne compréhension des mots, comme leur bonne utilisation dans le discours, ont toujours joué un rôle important et fonctionnel en scientologie. Cela fait partie de cette notion de veille, d’attention spirituelle au service d’une transparence de la conscience.
Et à cet égard, le but du Pont vers la liberté totale c’est l’augmentation progressive de la conscience. La transformation et l’accroissement de cette conscience se fait au moyen d’exercices pratiques. On pourrait dire que cette séquence d’actions est semblable à la fois dans le bouddhisme et dans la scientologie, même s‘il faut préciser que la scientologie utilise des technologies pour ce faire (audition, exercices, emploi de l’électromètre, etc.), alors que dans la méditation bouddhiste, on n’utilise que le mental pour observer et contrôler le mental lui-même, et pour en fin de compte le « détruire » [42]. Il faut toutefois noter que la signification primordiale de l’éveil mental qui est défini comme la conscience, puis de l’expression « conscient d’être conscient » en scientologie (en scientologie, « conscient d’être conscient » signifie être conscient de la justesse des choses, alors que ce qu’on appelle « l’unité consciente d’être consciente » c’est la personne elle-même [43], et enfin du concept de smrti/ sati (sanskrit-pali), révèlent un seul et même but pour les deux religions.
Les deux religions convergent donc en un point précis quant à ce concept du mental : le mental doit être conquis par l’esprit. Lors du développement des capacités de l’esprit, l’homme arrive à un niveau où il acquiert de grands pouvoirs (siddhi), comme par exemple une grande clairvoyance, l’aptitude à changer de taille, à provoquer des phénomènes grâce au mental, à être invisible ou à pouvoir marcher dans les airs [44]. Des choses semblables se produisent grâce à la connaissance et la conscience, en scientologie. L’Operating Thetan regagne des pouvoirs extraordinaires ou des capacités surnaturelles grâce à la pensée, comme par exemple l’extériorisation, la communication avec les morts, la perception de l’Etre Suprême et tout ce qu’on appelle les perceptions thêta [45]. Insistons toutefois sur le fait que dans la vision de Bouddha, les pouvoirs supérieurs n’ont que peu d‘importance. Le seul pouvoir vraiment important c’est l’intuition profonde de la vraie nature des choses.
IV. Quelques remarques suivies de mes conclusions
IV. 1. Le thétan et l’âme ou l’esprit : Le cheminement spirituel
Parallèlement à l’idée du thétan, il y a cette autre idée que l’âme ou l’esprit est le vrai centre de la personnalité, le moi profond de l’homme. Les historiens des religions tiennent clairement ce discours. C’est la position de M. Eliade [46], de E. Zolla [47], J. Campbell [48] ou encore G. Jung [49], par exemple. Et ce n’est pas seulement la vision au cœur de la pensée chrétienne. C’est aussi la vision de l’ésotérisme et de l’hermétisme, dans leur ensemble [50]. L‘homme est un esprit. La conséquence de cette affirmation, c’est d’abord la sacralisation du moi. Cette sacralisation est d’ailleurs perceptible dans la gnose moderne, et avait déjà été esquissée dans la religion gnostique des premiers temps : l’homme est un esprit, l’homme est un Dieu, ou un demi-Dieu. Paul Heelas a noté la présence de cette vision dans la spiritualité moderne, somme toute en des termes identiques à la spiritualité du temps jadis. Dans les communautés spirituelles, selon Heelas, l’être humain moderne est perçu essentiellement comme un Dieu ou une déesse en exil [51]. Même si Heelas a pu faire valoir ses arguments pour ce qui concerne la modernité, l’origine véritable de cette divinité en l’homme n’en est pas moins très ancienne.
On retrouve la très ancienne origine de cette argumentation en reprenant les idées de Platon sur l’Orphisme selon lesquelles l’âme est divine ou possède une étincelle divine. Il suffit de nous souvenir ici du premier mythe Orphique. Dans le Mythe de Dionysos de Platon (il s’agit du premier mythe gnostique), les Titans assassinent le jeune dieu, Dionysos [52] et le dévorent. Pour les punir de leur crime, Zeus les foudroie, et de leurs cendres naissent les hommes. L’homme est donc à moitié Dieu par Dionysos, et à moitié bête par les Titans. En d’autres termes, il est à moitié Dieu par la chair de Dionysos, et à moitié bête par les cendres des Titans. Et d’après Platon, l’homme se sent évidemment comme dans une prison : le corps (qui provient des Titans) maintient l’âme en servitude, avec son étincelle divine (l’âme, le noûs, le pneuma). Son seul but est donc de libérer l’âme de cette prison et de retourner à la source, revenir au plérôme, c’est-à-dire le monde divin auquel il appartient. Car l’âme bien entendu appartient au divin.
En suivant cette idée de Platon sur le monde de l’âme, les auteurs ont pu développer au cours des siècles passés, de la Renaissance au Romantisme, en passant par le siècle des Lumières, l’idée d’un cheminement de l’âme, son voyage pour retourner vers le principe divin, ce qui signifie en même temps le retour vers le moi profond de l’âme humaine. Or ici aussi nous rencontrons de grandes similitudes. Cette aventure humaine ressemble fort à ce récit de Hubbard sur les thétans déchus de leur condition spirituelle originelle et désireux à présent de « rentrer au foyer », de retourner à la source. Mais pour ce faire, il faut bien entendu entreprendre un voyage. Ce périple des thétans décrit par Hubbard n’est pas différent du voyage de l’âme. Rappelons-nous également que cette relation entre cheminement, voyage intérieur et extérieur, a déjà fait l’objet de travaux littéraires. Ainsi pour Novalis, R. Maria Rilke et surtout Hermann Hesse dans Le Loup des steppes (1927), il existe bien un voyage pour l’homme et son âme, et le foyer de cette âme réside, tout comme pour le thétan, « au-delà du temps et de l’espace » [53]. Les thétans doivent voyager par-delà le temps et l’espace pour rejoindre leur « foyer ».
IV.2. Les secrets doivent demeurer tels pour protéger la notion du sacré
Le gnosticisme, l’ésotérisme et l’hermétisme ont un autre point commun avec la scientologie. Ces religions adorent les vérités cachées. Des passages de leurs doctrines doivent rester voilés. La vérité sur le savoir éternel peut être connue de quelques personnes éminentes, même sans médiation. Cette idée d’initiés et de sages qui partagent la grande connaissance est un thème récurrent dans l’histoire de ces religions, qui a traversé le temps jusqu’à aujourd’hui. Ce besoin de connaissance s’accompagne souvent d’une idée d’expérience personnelle.
Ce paradigme se retrouve dans l’Eglise de scientologie. Et on pourrait se demander pourquoi une nouvelle religion comme la scientologie voudrait garder certaines informations secrètes. Ce fait a d’ailleurs suscité un scandale il n’y a pas si longtemps auprès de certains de nos contemporains. On ne devrait pourtant pas y trouver à redire. La scientologie conserve certaines informations confidentielles exactement comme le font d’autres religions. Le sacré doit conserver ses secrets. Ceux-ci font partie de l’inexprimable et doivent demeurer tels.
Cette réalité fait partie de l’épistémologie du sacré que l’on retrouve dans toutes les pratiques ésotériques. On la retrouve aujourd’hui dans la pensée de l’épistémologue Gregory Bateson, avec son ouvrage sur la « Peur des Anges » [54]. Le même thème se retrouve par exemple chez Roy Rappaport, l’anthropologue des rituels. [55] Le vieil axiome précise que si le sacré est complètement révélé, alors il disparait. Le savoir est toujours plus précieux que notre droit à le connaître. D’une certaine manière, les secrets sont nécessaires à la religion elle-même.
On pourrait d’ailleurs essayer de rapprocher les secrets en religion de la théologie « apophatique ».
Dans l’histoire des religions, nous avons l’exemple de Hermès et de Zoroastre à qui on demande de révéler la connaissance secrète. Mais dans tous les cas, la doctrine ésotérique ne peut survivre qu’en suivant la dialectique de la vérité cachée et révélée. La présence de maîtres est donc nécessaire à la transmission du secret, et c’est au moyen de rites initiatiques que ce secret peut être révélé et compris.
En scientologie, certains niveaux de connaissance demandent une préparation spécifique, une sorte de rite initiatique. Il est donc préférable de ne pas en parler. La scientologie est une religion proche de la science et elle possède sa propre technologie. Mais en même temps, elle comporte une doctrine ésotérique et certaines informations qui ne doivent pas être connues. Nous respectons ce choix. Ainsi par exemple, les niveaux OT supérieurs ne sont pas connus, et certains n’ont même pas encore été publiés.
IV. 3. Un regard porté devant nous : science, religion et technologie dans le futur
Il y a des choses à apprendre de la doctrine de Hubbard, que ce soit sur un plan méthodologique ou dans le cadre de l’histoire des religions. Et j’en profiterais ici pour émettre quelques suggestions. En somme, nous avons besoin de créer de nouvelles relations entre science et religion, entre le monde matérialiste et l’univers spirituel. Car ces deux domaines apparaissent trop distants l’un de l’autre quand on écoute le discours de l’Occident sur la religion. Si le matérialisme est devenu comme une sorte de « matière morte » pour nos contemporains, pendant que progressait notre modernité, nous sommes devenus de plus en plus conscients de la subjectivité et de l’individualité de notre monde spirituel, tournés davantage à présent vers le subjectivisme [56].
Il nous faut aujourd’hui retrouver plus d’équilibre, retrouver la voie du milieu, comme elle existe dans le bouddhisme. Si, comme nous le disent les spiritualistes, c’est l’idéologie matérialiste, dans ses aspects scientifique, mécaniste et technologique qui entrave l’esprit vivant, les matérialistes eux jettent le blâme sur l’obscurantisme théologique et mythique des spiritualistes, lequel aurait exorcisé le corps et la matière, rendant impossible l’identification de toute forme de vie dans le monde matériel. C’est toujours la même vieille lutte entre les sciences humaines et les sciences naturelles : entre Geisteswissenschaften et Naturwissenschaften (W. Dilthey) [57]. C’est pourquoi une nouvelle médiation nous semble nécessaire, comme celle qui était déjà en existence et pratiquée à l’époque de l’ésotérisme et de la théosophie, mais qui a été perdue depuis. Les mondes séculiers et religieux ne s’opposent aucunement. Ils doivent au contraire œuvrer ensemble. Je pense que la scientologie, par ses principes novateurs sur le monde physique et spirituel montre la direction que devraient peut-être prendre, ensemble, les religions et l’humanité [58].
Il est clair toutefois que le but final des deux religions n’est pas identique en ce qui concerne la conscience. On s’aperçoit en réalité que le nirvana du bouddhiste vise à la disparition du mental et de la pleine conscience, alors que cette suppression du mental apparaît plutôt comme quelque chose de négatif pour la scientologie. Ron Hubbard a dit précisément : « Il n’y a manifestement pas de nirvana en scientologie » [4]. Cette vision différente est due au fait que le thétan reste toujours un individu.
I. La Gnose et sa typologie
I.1. Les caractéristiques de la Gnose
Rappelons-nous ce qu’a dit un jour H. Jonas : « Pour comprendre le gnosticisme, il nous faut quelque chose qui ressemble très fort à une oreille musicale ». C’est vrai. Comme je viens de le dire, il est difficile de comprendre ce qu’est le gnosticisme. Je me souviens qu’en 1966, une réunion d’experts s’était réunie à Messine en Italie, sous la houlette du professeur U. Bianchi, pour tenter de trouver une définition pratique du gnosticisme. Ce qui en résulta toutefois ne fut pas très encourageant. Les érudits proposèrent alors de limiter l’usage du mot gnosticisme aux mouvements hérétiques du deuxième siècle, alors que le terme plus générique de gnose se référait à la connaissance des mystères divins réservée à l’élite [5].
Ainsi donc le problème demeure. Comment définir le gnosticisme à partir de cette grande variété d’éléments proposés tout au long de l’histoire ? Comme je l’ai dit, j’en suis venu à proposer une typologie. Ainsi, j’essaie de définir le phénomène en dressant la liste de quelques traits caractéristiques communs à toutes les manifestations considérées comme gnostiques. Parmi les spécialistes qui ont adopté cette approche typologique dans le passé, nous avons le grand théologien W. Bousset, dans son Religionsgeschichtliche Schule [6] [Histoire des religions –ndt] et le théologien A. Harnack. [7] Parmi les spécialistes plus récents, on peut citer par exemple H. Jonas [8] , ou d’autres encore, comme C. Emery [9] et C. Markschies [10].
J’ai donc la possibilité, en tant qu’universitaire spécialisé dans l’étude comparative des religions, d’analyser les rapports qui existent entre la religion gnostique et la scientologie, toujours dans le cadre de cette typologie que je viens d’évoquer. J’ai bien conscience malgré tout qu’il restera une part d’ombre. Car en effet, toute approche typologique visant à définir le gnosticisme ne peut extraire et isoler des points de doctrine qu’à partir de mythologies complexes et variées.
En dépit de tout cela, je proposerai une typologie simple, la mienne, juste pour la comparer à la scientologie, tout en résumant quelques traits essentiels de la gnose.
Historiquement nous le savons, le concept de gnose remonte aux croyances et sectes qui fleurissaient aux premiers siècles de l’ère chrétienne, combinant des éléments du Christianisme, du Platonisme et d’autres religions orientales. Au départ, le concept se référait uniquement au principe du mental (noûs) et de la raison (logos), sans plus. Et c’est au cours des siècles de l’ère chrétienne que le concept a été élargi. La gnose est devenue la « connaissance du monde divin et de la vraie nature intérieure des choses ».
Pour ma propre typologie, j’ai sélectionné quelques caractéristiques tirées de la gnose. On peut en dresser la liste suivante :
- Il y a l’idée d’un Dieu lointain et transcendant.
- Introduction d’un mythe cosmologique, présent dans presque tous les récits et qui postule une chute ou une séparation d’avec le monde divin, dont la conséquence fut le démiurge, c’est-à-dire un second Dieu, qui engendra le monde.
- Le monde physique est le résultat de l’ignorance.
- Le monde physique est considéré comme une prison et une illusion (l’espace et le temps sont en effet des illusions) créées par un demi-dieu (le démiurge) et gardées par des démons malveillants (les Archontes).
- L’humanité se trouve dans un profond sommeil causé par l’ignorance. Elle a perdu quelque chose d’essentiel en abandonnant le pouvoir spirituel attaché à la conscience de soi, même si une particule divine demeure malgré tout vivante en l’homme.
- Tant qu’il n’est pas éveillé, l’homme demeure un étranger (Jonas) dans ce monde, et il souffre de rêves agités.
- La seule chance d’éveil passe par la connaissance.
- Le principal objectif dans cette situation de servitude, c’est l’acquisition de la connaissance afin de libérer l’homme intérieur des liens de l’ignorance, lui permettant ainsi de retrouver sa nature et son royaume divins.
I. 2. Le concept de gnose en tant que Connaissance
Sur un plan épistémologique, le savoir gnostique ne surgit pas d’une réalité qui serait distante. Il ne peut pas davantage être acquis méthodiquement par l’examen attentif du monde extérieur. Et par ailleurs, il ne saurait être révélé par un Dieu transcendant, comme dans le christianisme. Non, il provient d’une source interne, il résulte d’une expérience personnelle qui repose sur l’imagination ou l’intuition spirituelle. Dans ce sens, la gnose est une connaissance spirituelle. Et la connaissance de soi est aussi la connaissance de Dieu : les deux composantes, le soi et Dieu, sont les deux faces d’une même pièce. La gnose n’est donc pas l’équivalent d’un vague savoir supérieur, absolu ou parfait. Il s’agit plus exactement de la recherche du plus haut niveau spirituel de la réalité.
Et le progrès en direction de cette double connaissance est vu comme un parcours ou cheminement spirituel. On se rappelle que selon Quispel, l’essence de la gnose c’est l’expression mythique du soi [11]. Et on retrouve là le chemin suivi par le gnosticisme, comme dans l’ésotérisme et l’hermétisme. Dans toutes les formes de gnosticisme, l’expérience du soi durant le cheminement spirituel est fondamentale. Or nous verrons que quelque chose de similaire existe en scientologie, avec une manifestation du soi qui peut s’assimiler à la confiance et aux capacités de la personne.
Dans le même ordre d’idée, la connaissance est secrète. La connaissance spirituelle n’est pas accessible à tous, mais seulement à ceux qui la méritent, et sa substance doit être gardée secrète. Ainsi par exemple, dans l’Evangile selon Thomas, Jésus a déclaré : « Je révèle mes secrets à ceux qui sont dignes de ces secrets. » [12] Par ailleurs, un autre fait marquant est que cette connaissance spirituelle, à la différence du savoir de faits et de théories basés sur la raison, concerne un savoir que l’on peut qualifier de « transformationnel » : puisqu’elle « concerne les secrets du salut, la connaissance n’est plus théorique, elle ne regroupe pas un ensemble de concepts et d’information sur des choses, elle sert plutôt à transformer la condition humaine ». [13]
Nous verrons que les mêmes objectifs sont présents au sein de la scientologie. La scientologie représente un savoir qui transforme le monde, voire qui le transcende.
I. 3. L’imagination dans la religion gnostique
Nous avons déjà identifié quelques traits de la religion gnostique. Rappelons-nous que la gnose n’est pas seulement une gnose passée, elle est également la gnose nouvelle et moderne, dotée de traits similaires. C’est pour cette raison que nous devons aborder la question de l’imagination dans la gnose, « un outil essentiel pour atteindre cette gnose, car l’imagination est créatrice, elle change le soi, comme le monde autour de soi ». [14]
L’imagination joue donc un rôle précis dans la gnose moderne. Elle est le produit typique d’un développement survenu au cours du dix-neuvième siècle et qui a accompagné le concept de religion et de science. Selon moi, l’imagination a trouvé sa place entre religion et science. La théosophie et l’occultisme confirment la direction prise par la nouvelle gnose. L’ésotérisme occidental a développé de nombreux exercices d’imagination centrés autour de Dieu, de l’homme et de la nature, comme l’a fait par exemple le mystique J. Boehme (Voir à cet égard les travaux de Wouter Hanegraff) [15]. Il en a été de même pour la vague de penseurs romantiques qui tirèrent leur inspiration de la gnose présente dans d’autres religions, comme dans la kabbale juive, le culte égyptien d’Isis, ou encore l’hindouisme ou le bouddhisme.
On peut d‘ailleurs inclure ici des chercheurs, des militants ou des artistes comme Richard Payne Knight, Sir William Jones, l’expert en religions orientales, le poète William Blake, Robert Owen, sans oublier Madame Blavatsky.
L’imagination et, en particulier, le reflet du divin dans la nature ou l’imagination divine ont joué un grand rôle dans la gnose moderne. On peut même dire que c’est grâce au pouvoir de l’imagination que le gnosticisme moderne a pu créer de nouveaux thèmes, de nouvelles perspectives et susciter un vrai progrès sur les questions de religion, de science et d’art. C’est particulièrement vrai à notre époque moderne.
On peut se poser la question : pourquoi vouloir élargir la discussion et passer de la gnose classique à la gnose moderne ? La réponse est simple : ce n’est qu’avec cette vision élargie de la gnose que l’on peut percevoir la proximité de la scientologie avec ces différentes questions de religion, de science et d’art. Pour autant, cette idée concernant l’imagination du thétan est très proche du concept du même nom que l’on trouve dans la gnose, et la question des OT (Operating Thetans, en anglais) est semblable à cette autre tradition dite de l’ascension de l’âme, avec les secrets qui l’accompagnent.
II. 1. Comparaison : Le savoir et l’imagination en scientologie
Nous connaissons cette déclaration de L. Ron Hubbard : « La scientologie est la science qui consiste à savoir comment savoir les réponses. » [16] D’un point de vue épistémologique c’est correct, du fait de la disposition intellectuelle du scientologue, qui doit manifester de la curiosité envers la connaissance secrète, même si jamais il ne prétend recevoir de révélation. En fait, en scientologie, la connaissance est la clef de tout, le premier principe du progrès spirituel. C’est la voie dans la bonne direction pour atteindre la liberté de l’esprit. Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? Je répondrais que le « savoir comment savoir » rejoint ces autres questions que l’on se pose dans la religion gnostique : « comment se libérer de la matière ? », « comment inventer la nouvelle réalité et la nouvelle liberté ? », ou encore « comment sortir de l’illusion cosmique ? », en des termes peu différents des questions existentielles propres au gnosticisme.
Et à cet égard selon moi, la connaissance accompagnée de l’imagination est ce qui symbolise le mieux la nouvelle épistémologie. Ce n’est pas tant le contenu seul de la connaissance qui est en jeu ici, mais d’abord et surtout la capacité d’imaginer ce que représente cette liberté totale, quand on parle du « Pont vers la liberté totale ». C’est le thème central de cette nouvelle vision proposée par L. Ron Hubbard, que ce soit pour l’état dit OT (Operating Thetan) ou pour la route conduisant à OT.
Pour l’élaboration de cette route, où la connaissance joue à jeu égal avec l’imagination dans la pensée de Hubbard, on trouve la religion, la technologie ou la science, et puis l’art. Et il n’y a aucune raison de se montrer trop curieux quant à savoir ce que pourraient être ces secrets scientologiques liés aux étapes ésotériques menant à OT, car il n’y a qu’une seule et vraie question. Il s’agit d’un principe méthodologique, c’est la possibilité d’imaginer la liberté en dehors de la matière. C’est la connaissance authentique. C’est la gnose.
Par ailleurs, comme c’est le cas pour le gnosticisme, l’expérience du thétan opère comme une transformation qui partirait de l’état d’homme déchu pour regagner ensuite pas à pas le salut, le tout reposant sur une idée bien subversive et un premier axiome selon lequel : « la réalité est une construction mentale ». C’est ainsi que l’on pourrait décrire les premiers axiomes un peu comme l’état primitif ou originel du thétan. Ces axiomes expriment la lutte continuelle entre l’esprit et la matière. Et le premier axiome de préciser : « la vie est fondamentalement un statique » (c’est-à-dire sans le MEST – un acronyme anglais pour Matière, Energie, eSpace et Temps). Cet élément souligne la séparation originelle qui existait entre le thétan et la matière. En fait, et comme a pu l’écrire l’Eglise de Scientologie Internationale : « Le thétan c’est la personne elle-même, pas son corps, ni son nom, ni l’univers physique, son mental ou quoi que ce soit d’autre. C’est ce qui est conscient d’être conscient, c’est l’identité qui est la personne. » [17]
Le deuxième axiome déclare : « Le Statique est capable de considérations, de postulats et d’opinions. » Cela signifie que le thétan possède l’aptitude à transformer la réalité, simplement grâce à la puissance de sa pensée. Quant au troisième axiome, il nous apprend que : « L’espace, l’énergie, les objets, la forme et le temps sont le résultat de considérations du Statique et/ou de considérations auxquelles il a donné son accord. » [18] Cela signifie que la réalité elle-même est déjà une création du thétan, une « pensée » de ce dernier, ou un accord entre des thétans.
On peut aussi voir un aspect négatif de la matière, dans son rapport au thétan. Nous avons ainsi un important axiome, le numéro 50 qui précise : « Théta, en tant que MEST, doit contenir des considérations qui sont des mensonges. » [19] Cela signifie que dès que le thétan entre en contact avec le MEST, une situation négative apparaît, c’est l’illusion de la réalité, un parfait mensonge. Cette proposition insiste une fois de plus sur l’opposition manifeste qui existe entre le MEST et le thétan. Le résultat final, lorsque la matière s’allie ou se mélange au thétan, c’est que cette matière devient simplement « mensonge ».
Il s’agit là d’une nouvelle épistémologie, d’une vision nouvelle. Mais cette vision est très en phase avec le concept classique de la gnose. Et nous pourrons donc établir un catalogue des aptitudes du thétan, comme on l’avait envisagé.
II. 2. Deuxième comparaison : Des caractéristiques similaires en scientologie
« La matière est mauvaise, et notre être matériel se détourne de Dieu, comme s’il s’agissait d’un péché. »
(Irénée de Lyon, Contre les hérésies)
Si on compare les caractéristiques du thétan dans ses rapports à la matière, en prenant comme base de travail l’épistémologie des axiomes que l’on vient de citer, et en suivant la cosmologie élaborée par L. Ron Hubbard, on peut alors établir les éléments parallèles suivants :
- Dieu en scientologie, correspond à la huitième dynamique, et ce concept n’est pas encore bien compris : il correspond à la partie la plus excentrée, la plus éloignée des cercles de l’existence et de la survie [20]. C’est le même principe qui prévaut dans la doctrine gnostique, où Dieu demeure agnostos theos, c’est-à-dire un Dieu inconnaissable. On peut cependant ajouter que dans ces deux religions, un plus haut niveau de conscience signifie une meilleure perception de Dieu.
- Les thétans engendrent l’univers matériel par la chute dans la matière [21]. C’est le premier détachement de la matière. Ça correspond à la séparation, la chute dans la matière décrite par la doctrine gnostique.
- On pense que l’univers n’a pas de réalité indépendante. Il dériverait cette réalité apparente (fruit de l’ignorance) du fait que la plupart des thétans s’accordent sur son existence. Ce n’est donc que par un acte de la pensée que le monde peut exister.
- On croit que les thétans se sont éloignés de la grande Unité dès le moment où ils ont commencé à s’identifier à leur création plutôt que de s’identifier à leur état originel de pureté spirituelle. Et leur nouvel état est alors devenu une prison.
- Les thétans ont perdu la mémoire de leur vraie nature en même temps qu’ils perdaient leur pouvoir de création spirituelle. En ce sens, ils sont devenus des étrangers dans ce monde, comme les âmes dans la doctrine gnostique. L’esprit (le noûs divin ou partie divine de l’âme) ne peut s’allier à la matière. Il y a incompatibilité.
- Et les thétans en sont donc venus à ne se comparer à rien d’autre que des êtres incarnés.
- Pourtant, grâce à la connaissance le thétan est en mesure de lutter contre la matière et ainsi regagner son état spirituel originel, la liberté totale. Ce n’est que par la connaissance qu’il pourra mettre fin aux cycles des vies passées et que le pur esprit pourra retourner vers la source.
Commentaire : recouvrer l’autonomie par la connaissance
Tenter d’illustrer la typologie gnostique, comme je viens de le faire, n’est pas une tâche aisée. Les systèmes gnostiques sont en effet tous différents et le rôle du démiurge, comme celui des Eons, diffèrent constamment selon les versions [22].
On peut au moins cerner quelques points communs à tous les mythes quand on aborde le pouvoir de la connaissance. Même si la connaissance a souvent été révélée à des hommes piégés dans la matière par des personnages intermédiaires, la pensée gnostique repose sur la possibilité de se connaître complètement avec pour conséquence son propre salut. Atteindre son propre salut, c’est pouvoir résister aux forces du mal. Les idées gnostiques sur la création du cosmos et de l’homme, avec la rédemption de l’être humain et de son âme grâce à l’ascension des plans astraux, sont par ailleurs très proches du principe philosophique de l’heimarméné [forces qui gouvernent l’univers – ndt].
Ce principe contient un aspect négatif puisqu’il repose sur l’existence d’une tension entre la liberté humaine et les puissances cosmiques, et c’est cette tension qui détermine le destin terrestre. Mais il revêt en même temps une importance capitale dans le gnosticisme qui a adopté cette idée astrologique de l’heimarméné, où des Archontes représentant les forces divines ont été relégués à l’état de démons, incapables de résister au désir de l’homme pour la connaissance. L’âme de l’homme donc est menacée par des pouvoirs célestes et des sphères planétaires démoniaques. Et dans cette lutte, l’homme ou l’esprit postule que la gnose, c’est-à-dire la connaissance, est l’arme qui pourra le libérer des chaînes de l’heimarméné. A ce titre la gnose, ou connaissance, a pu être justement appelée religion de l’auto-libération ou de l’autonomie recouvrée de la personne grâce à la connaissance.
Ce concept de l’autonomie recouvrée par la connaissance, concept vu comme une vérité absolue, sans référence aucune aux divers discours sur la gnose, on le retrouve un peu partout. Et on peut parfaitement l’appliquer à la scientologie. Les thétans, pour la scientologie, subissent les aléas de la vie en raison de leur ignorance. Les conséquences en sont le piège dans la matière et l’obscurcissement de l’esprit. A la fin du voyage toutefois, le salut devient possible, qui passe par la connaissance et la victoire sur la matière. On peut alors se demander : mais d’où vient le salut ? Et la réponse est : il vient par les exercices et l’audition, à partir de la force spirituelle toujours présente dans la matière et qui permet au thétan de savoir comment se libérer de ce monde [23].
Et Hubbard l’a affirmé, les thétans, grâce aux postulats identifiés à de la connaissance, peuvent devenir les maîtres de la matière. Ils sont donc capables de changer la réalité au travers de ces postulats, de ces décisions et pensées. Ils peuvent ainsi manipuler la réalité mais également se libérer. Et on voit donc que les thétans traversent les mêmes aventures que celles vécues par le démiurge.
III. Des liens avec les religions orientales
III.1. Quelques comparaisons récentes avec les religions orientales (R. Wallis, F. Flinn, S. Kent)
Nous avons pu relever tout d’abord qu’au cours de cette encore brève histoire de la scientologie, un nombre significatif de travaux ont été publiés qui comparent scientologie et religions orientales. Quelques-uns de ces travaux énoncent que la scientologie a suivi, au moins en partie, la trace des grandes traditions de l’Inde. La plupart des textes affirment que la scientologie aurait imité certaines religions orientales, à savoir l’hindouisme et le bouddhisme. Je me propose donc de rédiger ici un bref compte-rendu de ces courants d’idées.
Roy Wallis fut l’un des premiers auteurs à étudier la scientologie, dans les années 70. Il étudia l’Eglise de scientologie avec le point de vue d’un sociologue, et après avoir lu l’essai intitulé « Le Yoga, immortalité et liberté » (1954) de M. Eliade, il fut convaincu que la scientologie avait repris quelques principes provenant directement du yoga hindou. Wallis écrivit alors : « Dans le yoga, on trouve un certain nombre de parallèles évidents avec la scientologie. » [24] Pour Wallis les deux principales convergences identifiées par rapport à la scientologie étaient les suivantes : le système du yoga amènerait en premier lieu à un nouvel état de conscience, une renaissance conduisant à un « état d’être non conditionné » ; ensuite, le but du Samkhya-yoga serait de provoquer une séparation du Purusha (esprit immortel) d’avec le prakrti (la matière). L’objectif de la scientologie serait identique, en cherchant à dissocier le thétan, équivalent au Purusha (immortel, libre, divin) dans le but de le libérer du MEST (la matière, le prakrti). On peut accepter ces pistes de réflexion, même si la convergence n’est pas aussi parfaite qu’on pourrait le croire, le Purusha ne se mélangeant jamais vraiment avec la matière.
Si on doit comparer les deux systèmes, j’ajouterai ceci : nous savons que le principe au cœur du yoga est que, par l’application de pratiques, on est capable de contrôler ce qu’on appelle le « citta-vrtti » (perturbations, tourments du mental). Il en va de même en Dianétique et en scientologie, où le contrôle du mental réactif, et la possibilité de surmonter les engrammes présentent une signification équivalente. Avec l’engramme en fait, le mental se trouve soumis à une réalité affective et négative. C’est exactement l’équivalent du citta-vrtti. Et il s’agit là, selon moi, d’une équivalence qui n’avait jamais encore été relevée.
Dans les années 70, un autre auteur a comparé la scientologie aux religions orientales, en particulier au bouddhisme. Je veux parler de Frank Flinn. A cette période déjà, il avait qualifié la scientologie de « bouddhisme technologique » [25]. C’était pour moi l’expression d’une grande intuition. Dans son essai, Flinn compare le Clair de la scientologie à l’homme illuminé, l’homme éveillé, semblable au Bouddha. Le concept de Clair serait équivalent à celui de l’Illuminé, qui comporte cette idée de liberté et de conscience ou d’éveil [26]. Je suis d’accord en grande partie avec Flinn, et les principales comparaisons qu’il effectue entre la scientologie et le bouddhisme en particulier, notamment les quatre caractéristiques suivantes, me paraissent également établies : (1) Savoir pour soi-même, ou l’expérience personnelle vue comme un critère de vérité ; (2) La compréhension scientifique du principe de cause et d’effet, au sujet de l’esprit (karma) ; (3) Une approche pragmatique du bouddhisme sans aucune autre vision métaphysique ; et enfin (4) l’accent mis sur l’action individuelle [27].
Indéniablement, ces grands principes sont semblables à ceux que l’on peut trouver en scientologie. Flinn observe ensuite que le passage de la Dianétique vers la scientologie s’est effectué grâce au concept du thétan, concept qui se substitue, sous certains égards, à celui de Clair. Cette transition est en effet très intéressante. Selon Flinn, elle se serait faite suite à la découverte de nouveaux éléments concernant la manière dont le thétan : a) a la possibilité de conquérir le MEST, b) peut être comparé à l’esprit chrétien ou l’âme, c) possède à présent de nouvelles dynamiques, dont celles du monde animal, de l’univers, de l’esprit, et de l’infini ou Dieu, sans oublier (d) l’Electromètre, qualifié par Flinn de « sacrement technologique » [28].
Selon moi, tout cela a été fort élégamment décrit et correspond bien à la réalité. Le thétan toutefois, que l’on nomme par ailleurs le statique, affiche une plus grande perfection (potentiellement au moins) que le Clair. Et si c’est bien le cas, on peut se demander pourquoi Flinn n’a pas fait usage de ce nouveau concept de thétan, ou de théta-Clair, soit un statique ou un esprit libéré du MEST, ce qui aurait permis de mieux comprendre cet homme « illuminé » devenu un nouveau Bouddha. En fait, au début des temps le thétan était totalement détaché de la matière, et il doit à présent se libérer du MEST. Donc pour moi, sans aucun doute, les termes de thétan et de théta-Clair conviendraient mieux à cette réalité que le mot de Clair.
Je ne parlerai pas de la comparaison faite entre la scientologie et les religions orientales par Jon Atack, auteur de l’ouvrage à sens unique intitulé A Piece of Blue Sky [29]. Il a été scientologue dans le passé, puis est devenu ennemi déclaré de l’Eglise. Il a voulu comparer le scientologue au moine bouddhiste. Mais en quels termes ? D’une manière négative exclusivement. Son ouvrage aurait pu avoir de l’intérêt mais il a été complètement déformé par ses propres préjugés. En vérité, l’auteur qui a écrit le plus abondamment sur la scientologie, tout en possédant une solide connaissance des religions orientales, est le chercheur canadien Stephen Kent de l’université d’Alberta [30].
L’auteur examine les références aux religions orientales présentes dans les écrits de L. Ron Hubbard. Et dans ce cas-là aussi, je dois reconnaître tout de même que l’auteur n’est pas totalement libre de préjugés à l’encontre de la scientologie. Et je trouve trop négative l’analyse qu‘il en fait. Par rapport aux religions orientales, la principale affirmation de cet expert est que la comparaison faite entre les religions orientales et la scientologie est par trop « superficielle ». Certains mots dérivés de l’hindouisme et du bouddhisme et employés ou interprétés par Hubbard seraient incorrects. Je dois admettre que Kent a raison. Mais j’ai en même temps quelques remarques à faire à propos de Kent lui-même. Ces observations sont correctes et Hubbard s’est trompé à propos desdits termes. Ainsi, il a écrit : « Dharma est presque interchangeable avec le mot dhyana » [31] , alors qu’en fait, dhyana et dharma n’ont pas du tout le même sens dans l’hindouisme. Et en même temps je dois faire remarquer, en défaveur de Kent, qu‘une telle critique est insignifiante et marginale, s’agissant d’un leader religieux qui est d’abord et avant tout un esprit créatif. Voilà un homme qui a fondé un syncrétisme religieux pour servir ses propres besoins religieux.
C’est pourquoi je tiens à préciser ici que Kent ne me semble pas très fiable en matière d’études religieuses. On ne peut demander à un leader religieux d’opérer des traductions littérales d’une religion à une autre. Le génie religieux est doté de ce pouvoir capable de transformer les choses, et il est toujours syncrétique. Je remarque d’ailleurs que toutes les religions du monde sont apparues sous une forme syncrétique, c’est-à-dire souvent dotées d’éléments fort disparates.
III.2. Quelques références directes aux religions orientales
Je voudrais montrer ici que la scientologie présente également de nombreuses affinités avec les religions orientales, en particulier l’hindouisme et le bouddhisme, qui sont en substance des pratiques gnostiques. Nous devons nous rappeler tout d’abord que L. Ron Hubbard lui-même a toujours admis que la scientologie avait des affinités avec certains aspects de l’hindouisme, et en particulier avec le bouddhisme. Il a ainsi posé la question :
« Sommes-nous redevables envers l’Asie ?... Nous avons tous les mêmes potentialités, mais il se fait que l’information qui a été collectée au cours des années est disponible en Asie. Cette information n’a pas été préservée dans le monde occidental. Et on doit alors se tourner vers ces choses, comme le Veda. » [32]
A cet égard, je pense donc que ces liens avec l’Asie ont été perçus par Hubbard comme étant très étroits, ainsi d’ailleurs que l’a confirmé Kent [33]. Comme je l’ai déjà dit, le concept de bodhi (sagesse) par exemple, est semblable à celui de « savoir », en scientologie. Hubbard précise d’ailleurs dans ses Conférences de Phoenix:
« Ce dont nous venons de parler en termes de connaître le chemin vers la connaissance, est très proche de Bouddha, le seigneur Bouddha, Gautama Bouddha, ou encore le Bienheureux, ou celui qui est Eveillé. »
Ces mots de Hubbard nous montrent que le chemin vers la connaissance en scientologie est similaire à celui exprimé au travers du concept de Bouddha, celui qui possède le bodhi, la sagesse. Bouddha, comme bodhi, indiquent une même réalité, c’est-à-dire, connaître le chemin vers la connaissance. La connaissance comme la sagesse font partie d’un tout. On note par ailleurs que le concept hindou moksa n’est pas très éloigné de celui de liberté en scientologie. Libération, salut, autosalut, liberté totale, moksa et nirvana indiquent la même idée centrale dans les discours religieux, même si cette idée varie en l’occurrence dans le message chrétien, avec un salut venant d’une source extérieure, d’un sauveur : Jésus-Christ.
Dans les religions orientales, comme dans la pratique gnostique, le processus central du salut s’opère en passant de l’ignorance à la connaissance spirituelle, sans l’intercession d’un sauveur. La thèse majeure est la suivante : « Nous venons de Dieu, nous participons de son Essence et nous retournerons à lui. » Cette thèse se retrouve dans les Upanishad majeures, comme par exemple dans le Brhadaranyaka Upanishad. Elle constitue également le message central du Chandogya Upanishad. Et comme nous le verrons plus tard, c’est ce même type de message qui est proposé dans la méditation bouddhiste : tout ce dont nous disposons pour nous exercer, c’est notre mental, car le mental, en soi, c’est d’abord et avant tout, le seul refuge (« chacun d’entre nous est son propre refuge »). Rappelons-nous en plus, ce que disait Hubbard : « Le scientologue est un proche cousin du bouddhiste. » [34]
Il nous faut bien reconnaître que la discussion la plus étoffée sur la question des religions orientales traditionnelles telles que le Tao, l’hindouisme et le bouddhisme se trouve dans les Conférences de Phoenix données en 1954 [35]. On y trouve par exemple le thème des vies passées, proche du phénomène de la réincarnation, même si ce thème n’est pas tout à fait identique à l’idée de la réincarnation ni à celle du karma reprise dans l’hindouisme et le bouddhisme [36]. Les similitudes entre les religions orientales et la scientologie sont nombreuses et variées à bien des égards. Et je pense que ces doctrines hindouistes et bouddhistes que l’on retrouve en scientologie ne sauraient être considérées comme des similitudes occasionnelles et ponctuelles, comme un prétexte pour sauvegarder le concept de religion. Non, comme chacun peut le constater, ces doctrines sont présentes ici de manière structurelle. Nous pouvons donc conclure de l’idée de Kent qu’elle est étrange et peu crédible [37].
A propos de cette « dépendance » presque reconnue de l’Eglise de scientologie vis-à-vis des religions orientales, il me revient que Hubbard publia, en 1955-56 son Hymn of Asia en célébration de 2 500 années de pratique bouddhiste. Ce texte est un poème dédié à l’Asie, et souligne, s’il en est, combien Hubbard était enthousiaste pour cette région du monde. Le poème contient une sorte de prophétie percutante dans laquelle Hubbard s’identifierait au Bouddha Maitreya (le « futur Bouddha de la compassion », qui apparaît une fois sous ce nom dans Digha-Nikaya, 26). Que peut- t-on dire de cette comparaison ? Nous savons que cette identification à Bouddha a souvent été critiquée, à savoir, Hubbard apparaissant comme le nouveau Bouddha. Dans Hymn of Asia, il proclame:
« Il aura des cheveux blonds, ou roux ;
« Il achèvera le travail de Gautama Bouddha ; (…)
« Je viens pour vous apporter un enseignement ;
« Je viens pour vous aider » (…) [38].
Il est vrai que cette prophétie pose question. Pourtant je crois que ces suspicions sont un faux problème. Je me demande d’ailleurs pourquoi aucun chercheur n’a jamais rappelé que la tradition orientale faisait souvent usage de ce procédé d’identification. On peut d’ailleurs avancer que chacun de nous est un Bouddha, sans que cela ne soulève de problème. Et se comparer à un bodhisattva n’a rien d’étrange. C’est même plutôt courant dans l’hindouisme, et pas du tout scandaleux !
III.3. La méditation bouddhiste et la pleine conscience en scientologie
« En montant l’échelle, on [le thétan] est de plus en plus un individu capable de créer et de préserver son propre univers »
(L. Ron Hubbard, 8-8008, 48)
Je voudrais pour terminer examiner un autre concept présent à la fois dans la méditation bouddhiste et en scientologie. Je veux parler du concept de la pleine conscience. S’il appartient à la méditation bouddhiste, il représente également un élément très important de la scientologie.
Prenons cette citation de Hubbard tirée des Conférences de Phoenix, où il parle de dhyana, un mot qui signifie méditation ou concentration (dhyana en sanskrit est l’équivalent du chinois chan, ou du japonais Zen). Hubbard précise : « Ce mot indien de dhyana pourrait parfaitement être traduit par le mot scientologie. » Plus loin, il déclare, en reprenant des mots de Bouddha tirés du Dhammapada : « Tout ce que nous sommes est le résultat de ce que nous avons pensé. C’est fondé sur nos pensées, c’est fait de nos pensées. » [39] Des expressions similaires se retrouvent en effet dans le Dhammapada, avec une signification proche. Permettez-moi d’ailleurs de reprendre ici, mot pour mot, le premier passage de ce texte traditionnel appelé le Dhammapada. C’est sans doute la partie la plus vénérée de tout le Canon Pali. Le texte provient de la tradition Hinayana:
« Tout est précédé du mental
Tout est dirigé par le mental
Tout est créé par le mental » (Dhammapada, 1).
Le mental est donc précurseur, il précède toutes les conditions. Pour la méditation bouddhiste, le mental ou conscience est au cœur de l’existence. Le plaisir ou la douleur, le bien comme le mal, le temps et l’espace, la vie et la mort, tous ces éléments ne veulent rien dire s’ils sont séparés de notre conscience. Ainsi, le bouddhisme se concentre complètement sur le mental afin de le contrôler et le surmonter.
Nous savons par ailleurs qu’en sanskrit, bhavana c’est la méditation, c’est le développement mental, la transformation du mental en vue d’atteindre tous les siddhis (pouvoirs), pour finalement obtenir les états altérés de la conscience [40].
Avec ce concept de bhavana, on peut dire que tout est « inventé » par le mental. On savait que constructivisme et idéalisme étaient des principes déjà présents dans l’ancien bouddhisme. Dans le bouddhisme mahayana et surtout dans le tantrisme, on observe qu’une plus grande attention a été accordée au bhavana. Selon la tradition, par le truchement de la conscience, on peut atteindre et faire l’expérience de ce qu’on pourrait appeler la dernière « idéalité » du monde [modèle final d’un monde parfait et idéal – ndt], où la transparence de la pensée exprime la pure intériorité sous la forme d’une force créatrice. Et ça peut aller jusqu’au point où la réalité s’en trouve toute bouleversé, sachant que le résultat est lié à l’intensité de l’expérience. Dans ces circonstances, la différence entre la réalité perçue et la réalité imaginée disparaît. Et on constate que ce phénomène n’est pas différent de ce que l’on trouve en scientologie, en particulier au niveau du thétan. Car ici, comme dans le bouddhisme, un Operating Thetan peut transformer complètement la réalité, étant devenu lui-même le créateur des choses.
Examinons une fois de plus le phénomène de la méditation. Dans le Satipattana sutta [41] (les quatre fondements de la méditation) du Canon Pali, que signifie précisément le mot méditation ? La méditation, en essence, c’est l’effort soutenu pour porter son attention sur soi-même à tout instant, dans chaque situation, c’est demeurer clair et transparent au niveau de son propre mental, à chaque instant de la vie. La méditation renforce donc la concentration, la clarté de l’esprit et le calme intérieur, permettant ainsi de percevoir la vraie nature des choses, le tout menant à un changement, une transformation et une nouvelle compréhension de la vie. Et cette notion de conscience est semblable au concept développé dans l’Eglise de scientologie. Le but de l’Eglise en effet est d’accroitre la conscience spirituelle des personnes pour qu’elles deviennent plus éveillées, dotées d’une grande clarté de l’esprit. La bonne compréhension des mots, comme leur bonne utilisation dans le discours, ont toujours joué un rôle important et fonctionnel en scientologie. Cela fait partie de cette notion de veille, d’attention spirituelle au service d’une transparence de la conscience.
Et à cet égard, le but du Pont vers la liberté totale c’est l’augmentation progressive de la conscience. La transformation et l’accroissement de cette conscience se fait au moyen d’exercices pratiques. On pourrait dire que cette séquence d’actions est semblable à la fois dans le bouddhisme et dans la scientologie, même s‘il faut préciser que la scientologie utilise des technologies pour ce faire (audition, exercices, emploi de l’électromètre, etc.), alors que dans la méditation bouddhiste, on n’utilise que le mental pour observer et contrôler le mental lui-même, et pour en fin de compte le « détruire » [42]. Il faut toutefois noter que la signification primordiale de l’éveil mental qui est défini comme la conscience, puis de l’expression « conscient d’être conscient » en scientologie (en scientologie, « conscient d’être conscient » signifie être conscient de la justesse des choses, alors que ce qu’on appelle « l’unité consciente d’être consciente » c’est la personne elle-même [43], et enfin du concept de smrti/ sati (sanskrit-pali), révèlent un seul et même but pour les deux religions.
Les deux religions convergent donc en un point précis quant à ce concept du mental : le mental doit être conquis par l’esprit. Lors du développement des capacités de l’esprit, l’homme arrive à un niveau où il acquiert de grands pouvoirs (siddhi), comme par exemple une grande clairvoyance, l’aptitude à changer de taille, à provoquer des phénomènes grâce au mental, à être invisible ou à pouvoir marcher dans les airs [44]. Des choses semblables se produisent grâce à la connaissance et la conscience, en scientologie. L’Operating Thetan regagne des pouvoirs extraordinaires ou des capacités surnaturelles grâce à la pensée, comme par exemple l’extériorisation, la communication avec les morts, la perception de l’Etre Suprême et tout ce qu’on appelle les perceptions thêta [45]. Insistons toutefois sur le fait que dans la vision de Bouddha, les pouvoirs supérieurs n’ont que peu d‘importance. Le seul pouvoir vraiment important c’est l’intuition profonde de la vraie nature des choses.
IV. Quelques remarques suivies de mes conclusions
IV. 1. Le thétan et l’âme ou l’esprit : Le cheminement spirituel
Parallèlement à l’idée du thétan, il y a cette autre idée que l’âme ou l’esprit est le vrai centre de la personnalité, le moi profond de l’homme. Les historiens des religions tiennent clairement ce discours. C’est la position de M. Eliade [46], de E. Zolla [47], J. Campbell [48] ou encore G. Jung [49], par exemple. Et ce n’est pas seulement la vision au cœur de la pensée chrétienne. C’est aussi la vision de l’ésotérisme et de l’hermétisme, dans leur ensemble [50]. L‘homme est un esprit. La conséquence de cette affirmation, c’est d’abord la sacralisation du moi. Cette sacralisation est d’ailleurs perceptible dans la gnose moderne, et avait déjà été esquissée dans la religion gnostique des premiers temps : l’homme est un esprit, l’homme est un Dieu, ou un demi-Dieu. Paul Heelas a noté la présence de cette vision dans la spiritualité moderne, somme toute en des termes identiques à la spiritualité du temps jadis. Dans les communautés spirituelles, selon Heelas, l’être humain moderne est perçu essentiellement comme un Dieu ou une déesse en exil [51]. Même si Heelas a pu faire valoir ses arguments pour ce qui concerne la modernité, l’origine véritable de cette divinité en l’homme n’en est pas moins très ancienne.
On retrouve la très ancienne origine de cette argumentation en reprenant les idées de Platon sur l’Orphisme selon lesquelles l’âme est divine ou possède une étincelle divine. Il suffit de nous souvenir ici du premier mythe Orphique. Dans le Mythe de Dionysos de Platon (il s’agit du premier mythe gnostique), les Titans assassinent le jeune dieu, Dionysos [52] et le dévorent. Pour les punir de leur crime, Zeus les foudroie, et de leurs cendres naissent les hommes. L’homme est donc à moitié Dieu par Dionysos, et à moitié bête par les Titans. En d’autres termes, il est à moitié Dieu par la chair de Dionysos, et à moitié bête par les cendres des Titans. Et d’après Platon, l’homme se sent évidemment comme dans une prison : le corps (qui provient des Titans) maintient l’âme en servitude, avec son étincelle divine (l’âme, le noûs, le pneuma). Son seul but est donc de libérer l’âme de cette prison et de retourner à la source, revenir au plérôme, c’est-à-dire le monde divin auquel il appartient. Car l’âme bien entendu appartient au divin.
En suivant cette idée de Platon sur le monde de l’âme, les auteurs ont pu développer au cours des siècles passés, de la Renaissance au Romantisme, en passant par le siècle des Lumières, l’idée d’un cheminement de l’âme, son voyage pour retourner vers le principe divin, ce qui signifie en même temps le retour vers le moi profond de l’âme humaine. Or ici aussi nous rencontrons de grandes similitudes. Cette aventure humaine ressemble fort à ce récit de Hubbard sur les thétans déchus de leur condition spirituelle originelle et désireux à présent de « rentrer au foyer », de retourner à la source. Mais pour ce faire, il faut bien entendu entreprendre un voyage. Ce périple des thétans décrit par Hubbard n’est pas différent du voyage de l’âme. Rappelons-nous également que cette relation entre cheminement, voyage intérieur et extérieur, a déjà fait l’objet de travaux littéraires. Ainsi pour Novalis, R. Maria Rilke et surtout Hermann Hesse dans Le Loup des steppes (1927), il existe bien un voyage pour l’homme et son âme, et le foyer de cette âme réside, tout comme pour le thétan, « au-delà du temps et de l’espace » [53]. Les thétans doivent voyager par-delà le temps et l’espace pour rejoindre leur « foyer ».
IV.2. Les secrets doivent demeurer tels pour protéger la notion du sacré
Le gnosticisme, l’ésotérisme et l’hermétisme ont un autre point commun avec la scientologie. Ces religions adorent les vérités cachées. Des passages de leurs doctrines doivent rester voilés. La vérité sur le savoir éternel peut être connue de quelques personnes éminentes, même sans médiation. Cette idée d’initiés et de sages qui partagent la grande connaissance est un thème récurrent dans l’histoire de ces religions, qui a traversé le temps jusqu’à aujourd’hui. Ce besoin de connaissance s’accompagne souvent d’une idée d’expérience personnelle.
Ce paradigme se retrouve dans l’Eglise de scientologie. Et on pourrait se demander pourquoi une nouvelle religion comme la scientologie voudrait garder certaines informations secrètes. Ce fait a d’ailleurs suscité un scandale il n’y a pas si longtemps auprès de certains de nos contemporains. On ne devrait pourtant pas y trouver à redire. La scientologie conserve certaines informations confidentielles exactement comme le font d’autres religions. Le sacré doit conserver ses secrets. Ceux-ci font partie de l’inexprimable et doivent demeurer tels.
Cette réalité fait partie de l’épistémologie du sacré que l’on retrouve dans toutes les pratiques ésotériques. On la retrouve aujourd’hui dans la pensée de l’épistémologue Gregory Bateson, avec son ouvrage sur la « Peur des Anges » [54]. Le même thème se retrouve par exemple chez Roy Rappaport, l’anthropologue des rituels. [55] Le vieil axiome précise que si le sacré est complètement révélé, alors il disparait. Le savoir est toujours plus précieux que notre droit à le connaître. D’une certaine manière, les secrets sont nécessaires à la religion elle-même.
On pourrait d’ailleurs essayer de rapprocher les secrets en religion de la théologie « apophatique ».
Dans l’histoire des religions, nous avons l’exemple de Hermès et de Zoroastre à qui on demande de révéler la connaissance secrète. Mais dans tous les cas, la doctrine ésotérique ne peut survivre qu’en suivant la dialectique de la vérité cachée et révélée. La présence de maîtres est donc nécessaire à la transmission du secret, et c’est au moyen de rites initiatiques que ce secret peut être révélé et compris.
En scientologie, certains niveaux de connaissance demandent une préparation spécifique, une sorte de rite initiatique. Il est donc préférable de ne pas en parler. La scientologie est une religion proche de la science et elle possède sa propre technologie. Mais en même temps, elle comporte une doctrine ésotérique et certaines informations qui ne doivent pas être connues. Nous respectons ce choix. Ainsi par exemple, les niveaux OT supérieurs ne sont pas connus, et certains n’ont même pas encore été publiés.
IV. 3. Un regard porté devant nous : science, religion et technologie dans le futur
Il y a des choses à apprendre de la doctrine de Hubbard, que ce soit sur un plan méthodologique ou dans le cadre de l’histoire des religions. Et j’en profiterais ici pour émettre quelques suggestions. En somme, nous avons besoin de créer de nouvelles relations entre science et religion, entre le monde matérialiste et l’univers spirituel. Car ces deux domaines apparaissent trop distants l’un de l’autre quand on écoute le discours de l’Occident sur la religion. Si le matérialisme est devenu comme une sorte de « matière morte » pour nos contemporains, pendant que progressait notre modernité, nous sommes devenus de plus en plus conscients de la subjectivité et de l’individualité de notre monde spirituel, tournés davantage à présent vers le subjectivisme [56].
Il nous faut aujourd’hui retrouver plus d’équilibre, retrouver la voie du milieu, comme elle existe dans le bouddhisme. Si, comme nous le disent les spiritualistes, c’est l’idéologie matérialiste, dans ses aspects scientifique, mécaniste et technologique qui entrave l’esprit vivant, les matérialistes eux jettent le blâme sur l’obscurantisme théologique et mythique des spiritualistes, lequel aurait exorcisé le corps et la matière, rendant impossible l’identification de toute forme de vie dans le monde matériel. C’est toujours la même vieille lutte entre les sciences humaines et les sciences naturelles : entre Geisteswissenschaften et Naturwissenschaften (W. Dilthey) [57]. C’est pourquoi une nouvelle médiation nous semble nécessaire, comme celle qui était déjà en existence et pratiquée à l’époque de l’ésotérisme et de la théosophie, mais qui a été perdue depuis. Les mondes séculiers et religieux ne s’opposent aucunement. Ils doivent au contraire œuvrer ensemble. Je pense que la scientologie, par ses principes novateurs sur le monde physique et spirituel montre la direction que devraient peut-être prendre, ensemble, les religions et l’humanité [58].
1. Voir M.A. Williams, Rethinking Gnosticism. An Argument for Dismantling a Dubious Category, Princeton University Press, Princeton 1996.
2. La littérature sur le sujet est sans limite. Je ne citerai que deux études: K. King, What is Gnosticism? Harvard University Press, Cambridge (MA) 2003; et le classique: H. Jonas, Gnostic Religion,: The Message of the Alien God and the Beginnings of Christianity, Beacon Press, Boston 2001, 3ème édition.
3. Voir M.F. Bednarowski, New Religions and the Theological Imagination in America, Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis 1989, en particulier 34. Elle parle de la “cosmologie dualiste”, “du monde créé par une déité malveillante” et “de sa vision des hommes et des femmes ignorants de l’étincelle divine or de la particule de divinité intérieure”.
4. Cf. L. Ron Hubbard, Scientology 8-8008, Bridge Publications, Los Angeles 2006, 48.
5. Cf. U. Bianchi (éd.), Le origini dello gnosticismo, Brill, Leiden 1967, p. XX
6. W. Bousset, Hauptprobleme der Gnosis, Gottingen 1907.
7. A. Harnack, ,What is Christianity?, HarperTorchbooks, New York 1957 (réimprimé
1908),54-56, 62-68. Voir K. King, Qu’est-ce que le gnosticisme, cit. 55-70.
1908),54-56, 62-68. Voir K. King, Qu’est-ce que le gnosticisme, cit. 55-70.
8. H. Jonas, The Gnostic Religion, , Beacon Press, Boston 2001, partie I, chap. 3, 48 voir typologie
9. C. Emery (éd.), William Blake: The Book of Urizen, Le livre de Urizen, University of Miami Press, Coral Gables, Florida 1966.
10. C. Markschies, Gnosis: An Introduction, T. et T. Clark, London 2003 (Die Gnosis, Beck, Muenchen 2001).
11. “Mythischer Ausdruck der Selbsterfahrung”. G. Quispel, Gnosis als Weltreligion: Die Bedeutung der Gnosis in der Antike 2ème. éd., Origo Verlag, Zuerich 1972, 37.
12. Gospel of Thomas, Saying 62.
13. Voir H. Jonas, The Gnostic religion: Beacon Press, Boston 1958, 35.
14. A. Faivre, Theosophy, Imagination, Tradition: Studies in Western Esotericism, State University of New York, Albany 2000, en particulier: Exercices sur l’imagination,,, 99-145.
15. Cf. W. Hanegraff, New Age Religion and Western Culture: Esotericism in the Mirror of Secular Thought SUNY Press, Albany 1996.
16. Cf. Ron Hubbard, Scientology: A New Slant of Life, Bridge Public. Inc., Los Angeles 2007, 25
17. What is Scientology, Bridge Publications, Los Angeles 1992:8.
18. Pour ces trois axiomes, voir L.R. Hubbard, Axioms, Part I. Lectures given on 20 August 1954, in Idem, Phoenix Lectures, cit, 172-174.
19. Cf. L. Ron Hubbard, op. cit., 220, axiome numéro 50.
20. Cf. M.F. Bednarowski, New Religions and the Theological Imagination in America, Indiana University
Press, Bloomington et Indianapolis 1989, 32.
Press, Bloomington et Indianapolis 1989, 32.
21. Cf. le sommaire de J. Neusner, World Religions in America John Knox Press, Westminster 2003, 221-236 suiv.
22. Cf. K.L. King, «Factions, Variety, Diversity, Multiplicity: Representing Early Christian Differences for the 21st Century” , dans Method and Theory in the Study of Religion 23(2011), 216-237.
23. Cf. K. von Stuckrad, Western Esotericism. A Brief History of Secret Knowledge , Equinox Publishing, London 2005, 26.
24. Voir R. Wallis, The Road To Total Freedom: A Sociological Analysis of Scientology, Heinemann, London 1976, 112-113.
25. Voir F.K. Flinn, “Scientology as Technological Buddhism” Cet essai a été réimprimé dans James R. Lewis (éd.), Scientology, Oxford University Press, New York 2009, section IV., 209-223.
26. Cf. F.K. Flinn, cit., 212.
27. Cf. ibidem
28. Cf. F.K. Flinn, op. cit., 214-215.
29. Cf. J. Atack, A Piece of Blue Sky. Scientology, Dianetics and L. R. Hubbard exposed, Lyle Stuart Books, New York 1990.
30. Cf. S. Kent, The Globalization of Scientology,” dans Religion 29(1999), 147-169; idem, “The Creation of ‘Religious’ Scientology,” in Religious Studies and Theology 18(1999), 97-126; idem, “Scientology – Is This A Religion?”, in Marburg Journal of Religion?”, in Marburg Journal of Religion vol. 4, no. 1.
31. Cf. L. Ron Hubbard, Phoenix Lectures…cit. 42.
32. Cf. L Ron Hubbard, The Phoenix Lectures, The Publications Organization World Wide, Hertfordshire 1968,
33. S. Kent: “The Creation of ‘Religious’ Scientology,” Religious Studies and Theology 18, no. 2(1999): 97–126; and “Scientology’s Relationship with Eastern Religious Traditions,” Journal of Contemporary Religion N°. 1(1996): 21–36.
34. Cf. L. Ron Hubbard, What is Scientology?? Scientology Publications, Denmark 1978, 7.
35. Cf. L. Ron Hubbard, Phoenix Lectures. Feeling the Human Spirit , Golden Era Production 1954, Particulièrement 37 ss.
36. En scientologie le concept de “vies passées” comporte des références morales pour l’entre deux vies. Les scientologues rejettent l’idée qu’un thétan pourrait se réincarner dans un animal ou dans un état inférieur à l’humain.
37. Cf. S. Kent, “The Creation of ‘Religious’ Scientology,” in Religious Studies and Theology 18 (1999), 97-126.
38. Cf. L. Ron Hubbard, Hymn of Asia, Golden Era Publications, Los Angeles 2009, suiv : “L’idée globale est que nous entrons dans un âge d’or”.
39. Cf. L. Ron Hubbard, Phoenix Lectures: Freeing the Human Spirit, , Golden Era Publications, L. Angeles 2007,45
40. Cf. F. Chenet, “Bhavana et la creativité de la conscience,” in Numen 34 (1987), 45-96.
41. Pour la traduction et les commentaires de la Satipatthana, cf. Analayo, Satipatthana. The Direct Path to the Realization, Windhorse, Cambridge 2004.
42. « Détruire le mental », cela exige une mise au point. Il nous faut signaler au moins une différence, et elle est d’importance: on ne peut oublier que le but de la méditation bouddhiste est la “cessation du soi” (anatta). En scientologie ce n’est pas le cas car dans ce cas-ci on recherche l’accomplissement de soi, et on pourrait donc rapprocher la doctrine de scientologie de l’ancienne méditation indienne des Upanishads, qui cherche le plein accomplissement de l’Atman ou Purusha présent en chacun de nous.
43. Cf. L. Ron Hubbard, The Awareness of Awareness Unit, in Idem, Dianetics 55! The Complete Manual of Human Communication, , New Era Publications, Copenhagen 1954, 2007, 35 ss.
44. Cf. L. Ron Hubbard, OT & Clear Defined, Advance! , Advance!, Advance! 94(1987) 6 ss.
45. Cf. L. Ron Hubbard, Science of Survival: Prediction of Human Behavior, , Bridge Pub. L.A. 2001, 576.
46. Cf. M. Eliade, Occultism, Witchcraft, and Cultural Fashions: Essays in Comparative Religions, University of Chicago Press, Chicago 1976.
47. E. Zolla, Uscite dal mondo, Adelphi, Milano 1992(5).
48. Cf. J. Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Princeton University Press, Princeton, New Jersey 1968(2).
49. Cf. par exemple C. G. Jung, The Structure and Dynamics of the Psyche, Routledge and Kegan Paul, London 1969(2).
50. Cf. A. Faivre, Access to Western Esotericism, State University of New York Press, Albany 1994.
51. Cf. P. Heelas, The New Age Movement: The Celebration of the Self and the Sacralisation of Modernity, Blackwell, Oxford 1996, 16 ss.
52. Cf. Le mythe du démembrement de Dionysos par les Titans est évoqué par Platon dans son Phédon, 69b.
53. Cf. Pour tout le contexte, voir Kocku von Stuckrad, Western Esotericism. A brief History of Secret Knowledge, Equinox Publishing; London 2005, 137 et ss. L’âme comme un paysage
54. Cf. G. Bateson, Angels Fear. Towards an Epistemology of the Sacred, Hampton Inc., New York 2005.
55. Cf. R. Rappaport, Ritual and Religion in the Making of Humanity, Cambridge University Press,
Cambridge 1999, 9 The idea of the sacred en particulier: Axioms and Ultimate sacred Postulates, 287 et ss.
Cambridge 1999, 9 The idea of the sacred en particulier: Axioms and Ultimate sacred Postulates, 287 et ss.
56. Cf. par exemple ce que T. Masuzawa a écrit dans Troubles with Materiality. The Ghost of Fetishism in the Nineteenth Centur, dans H. De Vries (éd.), Religion. Beyond a Concept, cit. 647-667, ici 666-667.
57. Cf. W. Dilthey, I Einleitung in die Geisteswissenschaften (1883).
58. Cf. T. Asad, Formations of the Secular: Christianity, Islam, Modernity, Stanford University Press, Stanford 2002 ; cf. C. Taylor, A Secular Age, Harvard University Press, Cambridge (MA) 2007.